Cela commence comme une de ces excursions foireuses que les
croisiéristes vantent aux amateurs de dépaysement et leur vendent à prix élevé
pour, à l’arrivée, engendrer la déception : l’autocar où se trouvent Sten
et Carolee, au Costa Rica, renforce les chocs d’une route pourrie plutôt que de
les amortir, tout est douteux dans les boissons et l’alimentation, le
comportement du conducteur ne rassure pas. Sten en a marre, la retraite d’un
proviseur, vétéran du Vietnam, mériterait plus d’égards…
Le quinzième roman de T.C. Boyle traduit en français depuis
1998, sans compter les recueils de nouvelles, secoue dès les premières pages.
Une bonne manière d’annoncer une suite où l’écrivain ne relâchera pas davantage
la tension qu’il ne lâchera personnages et lecteurs dans un flux d’événements
se succédant sans grandes plages d’apaisement.
Au terme de leur parcours en autocar branlant, le groupe est
agressé par trois détrousseurs de touristes, des gamins, dont l’un est armé
d’un pistolet. Sten, dans une sorte de réflexe hérité de sa formation de
marine, le désarme et le tue. Les touristes sont indemnes, Sten est un héros
que la police locale remerciera pour le service rendu. Au retour en Californie,
sa réputation l’a précédé, tout le monde lui parle et veut lui payer un verre.
Est-il pour autant un de ces hommes désignés par le titre du
roman, Les vrais durs ? Oui et
non. Les choses sont un peu plus complexes et le romancier rassemble, comme
souvent dans ses livres les plus ambitieux, des comportements opposés les uns
aux autres. Le plus éloigné de Sten, homme intègre et parfaitement intégré à la
société, comme il vient encore de le prouver, est son fils Adam : il voit
des aliens partout et se prend pour la réincarnation de Colter, héros des temps
où Lewis et Clark, qu’il accompagna dans leur grande expédition vers l’ouest au
début du 19e siècle, écrivaient de nouvelles pages dans la
géographie des très jeunes Etats-Unis. Totalement asocial, Adam est aussi un
vrai dur. Et le prouvera.
Avant cela, il aura séduit Sara, qui soigne des chevaux et
quelques autres espèces d’animaux, qui est surtout réfractaire à tout pouvoir
avec lequel elle n’a pas passé de contrat. Comme elle n’a passé aucun contrat,
la ceinture de sécurité, les impôts, la vaccination de son chien et d’autres
broutilles ne dépendent, selon elle, que de son bon – ou de son mauvais –
vouloir. D’où des ennuis en cascade et une fascination immédiate pour le personnage
incarné par Adam, encore plus radical qu’elle. Mais pour des raisons moins
philosophiques, et avec des conséquences finalement très inquiétantes.
T.C. Boyle poursuit, avec Les vrais durs, une exploration en profondeur des grands mythes
américains. Il n’hésite jamais à les ébranler en les menant jusqu’au bout de
leur logique, et l’on ne s’étonne pas trop de les voir déboucher sur quelque
chose d’absurde. Ils sont en effet intenables entre les principes réputés
immuables et la force du réel. La confrontation est rude, elle tient en tout
cas les yeux du lecteur grand ouverts.