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Terres saintes et profanes, de Jean Raspail

Publié le 27 décembre 2017 par Francisrichard @francisrichard
Terres saintes et profanes, de Jean Raspail

Terres saintes et profanes est la réédition d'un livre de Jean Raspail paru en 1960. Autant dire que peu de lecteurs le connaissent et que, introuvable depuis longtemps, ce modeste guide, à nouveau disponible, apparaît, des décennies plus tard, avec l'écoulement du temps, comme un véritable document historique.

Quand l'auteur entreprend ce voyage en 1959, il n'a que trente-quatre ans, mais sa plume est prometteuse et il fait preuve d'une grande indépendance d'esprit. Les photos qui illustrent son livre sont d'Aliette Raspail (sa femme) et de Didier Tarot: elles témoignent, en noir et blanc, d'un temps dont nous connaissons la suite.

Le livre comporte quatre chapitres:

- Terre sainte

- Liban

- Jordanie

- Israël

Terre sainte

La Terre sainte, au singulier, est celle des chrétiens. L'auteur confesse que c'est la sienne mais que sa religion est tiède. S'il commence par cette Terre, c'est parce qu'elle n'a pas de frontières et qu'elle n'appartient à aucun des trois pays - de religion non chrétienne - qui se partagent son nom et les bénéfices qu'il rapporte...

Son propos est simplement de se servir du paysage, des lieux et des gens, pour essayer de raconter "l'Évangile selon ce qu'il en reste". N'est-ce pas cet évangile-là que cherche en définitive le visiteur de Terre sainte?  Et le conseil qu'il lui donne est de jouer le jeu du drame qui s'y est joué ou de ne pas y aller...

Liban

Au Liban, les Libanais sont volontiers oublieux de leur passé, il ne les encombre pas, il les concerne si peu: C'est pourquoi le Liban se visite avec intérêt, mais sans que le coeur s'en mêle, et c'est pourquoi sans doute tant d'écrivains ont brodé sur un cèdre, une source ou une stèle, faute de trouver ailleurs motif à émotion...

Il n'en est toutefois pas de même à Byblos. Où les siècles se bousculent, se superposent. Où l'on devine l'amour du passé chez ceux qui en ont la garde. Où se trouve "la terre des dieux". Si bien qu'il donne cet autre conseil au visiteur: Dès votre arrivée au Liban, ne perdez pas une seconde, courez à Byblos et restez plus d'un jour...

Jordanie

Le royaume de Jordanie compte un million cinq cent mille habitants: quatre cent mille bédouins (qui en sont les seuls garants), sept cent mille réfugiés venus du territoire d'Israël et vivant misérablement dans les camps de la maigre pitance de l'ONU, quatre cent mille ex-Palestiniens annexés de Samarie et de Judée:

Et, pourtant, la Jordanie existe, malgré ses formidables contradictions internes, elle existe grâce à son roi dont l'unique présence parvient à matérialiser le mirage qu'est le royaume des sables. Alors qu'il pourrait rejoindre ses comptes en banque en Suisse ou en Angleterre, il fait front si courageusement qu'il est parvenu à gagner l'estime sinon l'amour de ses sujets.

Israël

Pour parler d'Israël, Raspail invoque la liberté de penser. Il l'appelle à son secours. Sans oublier la Forêt des martyrs, entre Tel-Aviv et Jérusalem, où six millions de jeunes arbres, plantés dans la rocaille et le sol nu, perpétueront le souvenir des six millions de victimes israélites exterminées par les nazis:

Mais si le souvenir des martyrs devait rendre les vivants muets, dans ce monde de souffrances, mon Dieu, plus personne n'ouvrirait la bouche.

Alors il l'ouvre, pour dire, notamment, que les deux causes, l'Arabe et la Juive, obéissant chacune à une loi du retour, sont mauvaises: Deux peuples pour la même terre avec autant de droits: qui peut oser condamner l'un ou l'autre.

Il est libre de penser ainsi, mais l'on peut penser autrement. Car la proclamation d'indépendance d'Israël le 15 mai 1948 fut la réponse justifiée à la destruction programmée du peuple juif par les nations arabes... même s'il était fin prêt à se défendre et à ne pas les laisser faire...

A qui appartient la terre?

Il l'ouvre pour dire: Enlever aux immigrants [juifs] ce qui leur fut attribué souvent de bonne foi à l'occasion des désordres de 1948-1949 est impossible. On n'arrache pas le pain à celui qui avait tant de motifs et d'excuses pour le voler... On pourrait toutefois lui demander de le rembourser.

Ce disant, qui est juste en principe, il oublie de dire, ou ignore, que les immigrants juifs précédents avaient acheté leurs terres... et qu'il en aurait été de même sans la guerre civile nourrie des appels aux meurtres des Juifs par le Grand Mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, l'allié indéfectible de l'Allemagne nazie pendant tout le conflit mondial...

En 1959, dix ans après la guerre d'indépendance d'Israël, Raspail ne peut pas savoir que, trois années plus tard, ceux que l'on va appeler les rapatriés d'Algérie, qui avaient cette terre africaine pour patrie et à qui on n'a donné le choix qu'entre la valise et le cercueil, ne seront pas davantage indemnisés, ni par ceux qui les ont chassés, ni par ceux qui les ont accueillis de mauvais gré...

Pour faire bonne mesure, toutefois, il dit déjà que le problème israélien serait résolu s'il n'y avait le refus, de la part à la fois des gouvernements arabes et de la masse des réfugiés, de mettre en valeur de larges régions sous-habitées de Jordanie, de Syrie, Sinaï, Irak et Égypte

Pourvus de nouvelles terres, les réfugiés se seraient abstenus de réclamer les leurs.

Le pire n'est jamais sûr

Aussi Raspail n'a-t-il aucune illusion: une guerre israélo-arabe ne peut qu'advenir, tôt ou tard, dans ces conditions.

Raspail, enfin, ne cache pas son admiration: Chaque Israélien est conscient de vivre une épopée. Bâtir un pays, les armes à la main, là où il n'y avait rien! Chacun se sent pénétré de la certitude de travailler au bonheur futur du peuple juif tout entier, et spécialement de ceux qui se trouvent encore dispersés dans le monde et qu'on se déclare prêt à accueillir dès qu'il faudra.

Raspail ne serait pas Raspail s'il ne devait pas terminer sur une note pessimiste: il pense qu'Israël ne pourra pas accueillir indéfiniment de Juifs dispersés, que son niveau de vie y restera médiocre et que le mouvement d'émigration, déjà commencé à l'époque, les fera se répandre de nouveau dans le monde:

De réfugiés qu'ils étaient, ils deviendront des intrus. Jadis persécutés, ils seront des envahisseurs qu'on ne saura plus plaindre...

... Jusqu'au jour où tout recommencera.

Mais il n'y a déjà plus de place en ce monde pour une deuxième Terre promise.

Heureusement que le pire n'est jamais sûr...

Francis Richard 

Terres saintes et profanes, Jean Raspail, 142 pages Via Romana

Rééditions précédentes:

Le Camp des Saints (2011) Robert Laffont

Les veuves de Santiago (2011) Via Romana

Dernier livre paru:

La miséricorde (2015) Bouquins


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