Le Poteau rose regroupe tous les écrits d’Évelyne « Salope » Nourtier et de Louisa Ste Storm. Des dessins saisissants — beaux et convulsifs, pour tout dire — signés Sophie Rambert viennent rehausser cet ensemble de lettres et de journaux intimes ; il s’agit de corps mis au supplice, crispés, offerts dérobés, jetés-là ou bien en suspension extatique, en pleine page. Comme toujours au Corridor bleu, on ne mégotte pas : beau papier ivoire, reliure en cahiers, composition et typographie subtiles et soignées. Les vers de Louisa Ste Storm qui viennent clore Le Poteau rose exigeaient cette méticulosité.
Il est loin le temps où Bataille signait Lord Auch ou Dianus. Lointaine également, l’époque où Calaferte suscitait le scandale. Peut-être, par ailleurs, que le monde sensible s’est éloigné de nous. Rien n’a été fait, en tout cas, pour nous le rendre plus accessible. Le Poteau rose parviendra néanmoins à sidérer un lecteur quelque peu las, revenu de tout, ayant côtoyé, même, les joyeux animaux de la misère de Guyotat.
On semble s’être fait à la pornographie, à la transgression, à leur surenchère fade et spectaculaire qui ne nécessite plus ni masques ni pseudonymes. À mieux dire, l’abjection n’est plus bordée de sacré, n’est plus entourée de rien ; elle a pris toute la place ; elle est passée dans l’air que l’on respire. L’obscénité, de nos jours, n’est que trop permanente, et notre besoin de sublime est impossible à rassasier. D’où l’urgence des écrits d’Évelyne et de Louisa, saintes fleurs lubriques d’H.P. et de cloître.
Et j’ai ri comme une vraie salope décérébrée
J’ai hurlé de joie comme une véritable chienne qu’on éviscère.
J’ai dansé liesse de qui se vide complètement
Écarquillant avec mes doigts les bas orifices de mon corps.
Est-ce déflorer Évelyne et Louisa — il leur en faut bien davantage — que de signaler que derrière ces noms et ces corps se dissimulent des hommes ? (Déflorer, quel mot « bébête », constate Salope Nourtier.) Pessoa se qualifiait d’ « hystéro-neurasthénique ». Ivar Ch’Vavar et Stéphane Batsal réussissent pour leur part incontestablement leur coup ; en l’espèce : un magistral exercice d’hystérie hétéronymique. Ivar et ses camarades nous avaient déjà éblouis avec Cadavre Grand m’a raconté, mais le Poteau rose finit d’enfoncer le clou, quitte à ce que l’on traverse le mur une fois pour toutes.
Il n’a que toi à aimer entre le fond du monde et cette
Petite flamme affolée de ta conscience et rien d’autre
De vivant à ses yeux et maintenant — tu le comprends
Comme un frère et comme un amant — il te demande,
Il te supplie qu’en lui tu entres, ainsi, que tu te loves,
Que tu t’ensevelisses en lui, ainsi, que tu enfonces
En lui le cri muet et la brûlure glacée de ta joie,
De ton horreur. Mur amoureux. Mur de ta mort.
Mathieu Jung
1. Ivar Ch’Vavar et camarades, Cadavre grand m’a raconté, anthologie des fous et des crétins dans le nord de la France, Le Corridor bleu et Lurlure, 2015.
Évelyne « Salope » Nourtier, Louisa Ste Storm, avec la participation d’Ivar Ch’Vavar et de Stéphane Batsal, dessins de Sophie Rambert : Le Poteau rose (Le Corridor bleu, 2013, 20 €).