À la fin des années 1980, j’avais été subjugué par les trois tomes « S.O.S. Bonheur » de Griffo et Van Hamme. De petites fables dystopiques qui mettaient à nu les angoisses de nos sociétés. J’avais été particulièrement impressionné par l’épisode « Sécurité publique ». Joachim Robin-Dulieu est l'inventeur et le promoteur de la Carte universelle (CU), qui remplace tous les moyens de paiement et d'identification. Jusqu’au jour où sa propre carte n'est reconnue valable nulle part. Joachim Robin-Dulieu n'est tout simplement pas présent dans le Grand fichier central de la population, et il doit prouver son existence. Bref, il n’existe plus et finira là où ceux qui n’existent pas se doivent d’être : nulle part.
Trente ans plus tard, le concept et la série sont repris avec le même dessinateur, mais un nouveau scénariste tout aussi belge : Stephen Desberg. Le dessin de Griffo a fortement évolué, beaucoup plus réaliste, ce qui accentue justement le côté réaliste de la série. Ce n’est pas vraiment de la « politique-fiction ». C’est de la « politique-réalité » !
Et c’est atroce. Ou sublime. Comme on veut ! Comme on le sent. Les 10 petites histoires racontées sont d’un sinistre absolu. On est vraiment dans la merde. Et ça sent vraiment mauvais.
Desberg nous expose un monde régi par les penseurs d'extrême droite, un univers dominé par l'argent, par les valeurs morales réactionnaires, par la figure du mâle dominant ou encore par la préférence nationale. On est dans le quotidien le plus implacable. Mais ce n’est pas un futur qui risquerait un jour de devenir le nôtre : c’est clairement notre réalité, notre société, qui est mise en image et en abîme. Il suffit de suivre un peu les aventures politiques de Theo Francken pour s’en convaincre. Aujourd’hui, il suffit d’être totalement inhumain pour devenir intouchable.
Et c’est là que je m’émerveille. Cette BD est sinistre, ravageuse, destructrice. Mais peut-être, justement, pourrait-elle nous sauver ! En réalité, par sa noirceur totale, « S.O.S. Bonheur – Saison 2 » est une véritable lumière. Il suffit de la percevoir, de lui donner sens, de la saisir, d'y croire. C’est possible, j’y crois ! Du moins, je veux y croire…