Le pays dans lequel se passe Le venin du papillon, roman d'Anna Moï, n'est jamais nommé, comme s'il était indicible. L'époque dans laquelle il se situe non plus, comme s'il était intemporel...
Pourtant tout est dit, explicitement, dans ce livre, pour l'identifier: il restitue le Viêt Nam, au début des années 1970, alors que se déroule la Conférence sur la paix de Paris.
C'est la guerre.
C'est le couvre-feu.
Ce sont les gangs de jeunes.
C'est l'immolation d'un moine...
Après la division du pays en deux, en deux demi-nations, de part et d'autre du 17e parallèle, Ba et sa femme Mae (Xuân dans son ventre) ont accompli le Grand Exode vers le Sud. Après Xuân, ils ont eu une deuxième fille, Thu. La paix signée à Genève en 1954 n'aura pas duré...
L'offensive du Nouvel An lunaire (1968) est encore dans les mémoires. Ba, devenu lieutenant-colonel de l'armée du sud, est démilitarisé, accusé de rébellion (il défend la Démocratie). Mae doit se débrouiller pour trouver de l'argent, la solde de son mari exilé ayant été suspendue...
La guerre plonge les esprits dans des abus d'excitation.
Xuân a connu l'éblouissement que procure l'excitation de son papillon quand, un jour, enfant, la bonne, Hong, a dirigé le pommeau de la douche vers le petit moellon de [sa] fente génitale: il s'était enflé, s'était durci...
La guerre fait éclater l'ordre moral et, même, l'inverse.
Maintenant, adolescente, Xuân tombe amoureuse d'un homme du double de son âge. Pas beau, mais très intelligent, Edgar, énarque, trente-trois ans, futur ambassadeur:
Pendant plusieurs semaines, il s'applique à aspirer la sève du papillon de Xuân, un doux venin dont il ne se lasse pas.
La guerre tourneboule les esprits.
Une transfuge du catholicisme, Mae passe à l'animisme puis à une version du talismanisme après un passage par le bouddhisme...
La guerre favorise les trafics, les amours mixtes, la sexualité débridée, les paris, les jeux, les boissons, comme pour échapper à la dure réalité des corps mis en pièces détachées (quand ils n'entrent pas dans le grand sommeil):
La guerre est une machine à réduire les anatomies des hommes.
Le 27 janvier 1973, la Paix est signée. Une drôle de paix, comme la suite le montrera...
En attendant, Xuân aura achevé sa métamorphose:
Le corps qui l'a encombré ces derniers mois, celui d'Edgar, est lentement parti. Un os après l'autre. Elle est plus légère, mais pas plus fragile...
Francis Richard
Le venin du papillon, d'Anna Moï, 304 pages, Gallimard