Distraction de fin d'année.
Chroma France s'est établi en 2008 dans le village alsacien de Steinbourg, un village de 2000 habitants à la réputation sulfureuse pour sa relation au couteau (les habitants portaient le surnom de "Messerhelde", ce qu'on pourrait traduire par les "héros", au sens péjoratif, du couteau) ; ceci pour d'autres raisons que leur fabrication, c'est qu'ils les tiraient un peu vite en cas de grabuge.... Le village est connu pour avoir tenu tête au parti nazi pendant la seconde guerre mondiale, ce qui va de pair avec leur caractère trempé hérité d'un longue et chaotique histoire régionale.
Dans la mémoire populaire, l'origine du village venait d'un lieu appelé Altenberg, la colline des Anciens. Lors des travaux du TGV-EST on vit émerger sous les pelleteuses une villae romaine et après fouilles il s'avéra qu'une forge était déjà en place au IIème siècle après J.C. Ci-dessus un hachoir retrouvé sur place, témoin de cette époque.
Sur cette origine : https://sites.google.com/site/histoiredesteinbourg/home/antiquite
Ce n'est pas tout. Il y a de cela quelques années à 500 mètres de l'entreprise, des fouilles menées suite à la construction d'un hall de stockage près de l'entreprise Haemmerlin, leader mondial des brouettes, ont également permis de dégager un ensemble de production à vocation métallurgique gallo-romaine (235 après Jésus-Christ d'après la datation d'un bol en céramique). Couches de scories et "crassier" témoignent que l'affinage du fer a été réalisé sur ces lieux où la forêt était abondante.
Vers 1824 le Zornhoff, lieu-dit situé à quelques encablures de Chroma France, devient un centre métallurgique d'importance grâce à la puissance hydraulique de la rivière Zorn qui passe à 20 mètres de nous. Par suite des lois protectionnistes de 1814 et 1818 qui frappaient l'importation d'articles laminés d'Allemagne, le baron Chouard, général de brigade mis à la retraite après Waterloo, investi ses deniers dans une usine produisant pour le marché français. En 1837 entre en scène Gustave Goldenberg, qui rachète le domaine. Il débaucha des ouvriers de Solingen experts en armes blanches qui formeront des générations de forgerons et d'aiguiseurs dans les années suivantes, le marché français développant une appétence pour les produits de quincaillerie. Signe des temps les armes blanches cèdent progressivement la place aux moulins à café, symbolisant la démocratisation de ces produits naguère réservés aux plus fortunés. En 1838 l'usine Goldenberg fabriquait 150 outils différents. En 1855 elle réédite le coup des couteliers de Solingen en faisant venir à grands frais une colonie d'ouvriers de Sheffield parmi les meilleurs tailleurs de limes anglais pour former ses ouvriers les plus habiles. Dans un courrier de 1863 le capitaine d'industrie mentionne qu'en production "il
y a solidarité entre les différentes classes d'outils car la clientèle
n'accepterait pas qu'on lui envoyât suivant les circonstances, tel genre
d'outil en laissant manquer un autre, car ce n'est pas par le plus
grand nombre d'outils que les exposants ont la plus grande vente mais
par l'assortiment". La "longue traîne" avant l'heure ! A méditer, tout comme aussi le slogan de l'époque : Goldenberg, l'outil qui dure. Goldenberg s'impose rapidement avec ces méthodes, précisons que la France accusait déjà un grand retard. Par exemple en France les
fabricants de limes employaient des aciers cémentés (fer
converti en acier par addition de carbone) permettant un outil peu cher,
mais peu fiable par rapport à l'acier fondu. Goldenberg dès le début rejette les aciers de basse qualité.
Après la guerre franco-prussienne de 1870 où l'Alsace est annexée de force, s'ouvrent de vastes perspectives en Allemagne et en Angleterre. En 1875, on comptera déjà 2300 produits différents, 10 fois plus qu'en 1862, répartis sur 300 pages de catalogue. Grâce au souci porté à la qualité de ses aciers et à leur juste emploi, Goldenberg peut rivaliser avec les Anglais et les Allemands. Scies, outillage, articles de ménage comme hachoirs, couteaux, moulins à café, à poivre, râpes à sucre (de betteraves sans doute), casse-noix, etc... sortent en masse de son usine qui compte désormais 1200 ouvriers, un quadruplement par rapport à 1837. L'entreprise passera toutes les vicissitudes de l'histoire, se reconvertissant dans l'industrie de guerre par exemple en 1914-1918 ou 1939-1945 (elle sera violemment et inutilement bombardée par les Alliés en 1945 à un jour de la libération du village), avant de péricliter dans les années 1960 après son rachat par la société Peugeot (qui y fabriquera un temps ses moulins) qui détruira cette belle usine à coups de plans sociaux.
Reste le mince fil Chroma France qui relie encore au passé coutelier de la région.