À New Delhi, un projet artistique, le « Phone recharge ki dukaan », tente depuis plusieurs mois de créer
du lien entre les communautés africaines et indiennes.
Le « Phone recharge ki dukaan » n’est pas une échoppe comme les autres. la boutique, ouverte aux quatre vents, donne sur une des ruelles qui constituent khirkee village, un quartier populaire de la capitale indienne. les auto-rickshaws et les petits tracteurs parviennent à s’y engouffrer, laissant dans leur sillage des nuages de poussière, des yeux plissés et des gorges irritées. « Phone recharge ki dukaan » signifie « magasin de recharge téléphonique » en hindi, ou plutôt en hinglish. On n’y vend pourtant pas de crédits d’appels ou de sms. Ici, on recharge son téléphone en sons et en vidéos. En clair, on échange de la musique. « les gens vivent côte à côte à khirkee mais ne se parlent pas nécessairement et la musique et les films sont un formidable moyen d’apprendre à se connaître », fait valoir Swati Janu. Cette jeune architecte de formation est à l’origine du projet initié en 2016, lors d’une première résidence artistique organisée par khoj studio, un centre d’art local. « Dans le quartier, il n’y a pas de lieux de rencontres et les magasins de recharge téléphonique sont des endroits que beaucoup fréquentent », explique la jeune femme au sourire communicatif.
À les écouter de près, les sons viennent du Bihar, du Congo ou encore de Somalie. les musiques bhojpuries côtoient les titres du congolais Fally Ipupa ou de l’ivoirien Dj Arafat. telle une fenêtre ouverte sur le monde dans ce quartier où la cohabitation entre migrants africains et migrants indiens venus de tout le pays est parfois difficile.
Faire des clips pour se connaître
Pour sa deuxième édition, le « Phone recharge ki dukaan » a rouvert ses portes en février 2017. Au cours des cinq premiers mois, Swati Janu a continué sa collecte musicale débutée en 2016. « Nous avons créé une sorte de bibliothèque multiculturelle et puis je me suis dit « pourquoi ne créerait-on pas nos propres médias ? » » Qu’à cela ne tienne, à partir du mois de juillet, Purnima rao et Pallavi la rejoignent et le magasin devient un studio d’enregistrement local. tous les mardis et les jeudis, les trois complices alpaguent les passants et leur proposent de réaliser des performances qu’elles filment et montent ensuite en de petits clips. « Je marchais dans la rue et comme je connais Swati, elle m’a appelé et j’ai fait un freestyle sur le vif », raconte yves tabidje, un ivoirien installé en inde depuis plusieurs années. Son rap, que l’on peut écouter sur la chaîne youtube du projet, parle de ses origines et de sa couleur de peau, dont il est tant question depuis qu’il vit en Inde. Ce pays où la violence peut dépasser les réflexions et insultes racistes, comme en 2016 où elle a coûté la vie à un ressortissant de la République démocratique du Congo.
Plus d’une vingtaine de clips ont ainsi été réalisés et au début du mois de novembre, l’équipe du magasin a commencé à les distribuer aux habitants du quartier. ainsi, à la même période, le projet « Phone recharge ki dukaan » s’est associé au journal citoyen local, khirkee voice, afin d’organiser des discussions entre indiens et africains du quartier. les habitants indiens pouvaient tour à tour venir poser des questions aux ressortissants africains. « Pourquoi votre nourriture sent si fort ? » ; « À quoi ressemble ton pays ? » ; « Quelle langue parlez-vous ? », etc. Des interrogations qui témoignent du peu de dialogue entre les communautés et de la méconnaissance qui peut parfois se transformer en hostilité. le studio a désormais fermé ses portes, mais une exposition lui est consacrée au mois de décembre au khoj studio. Peut-être avant de reprendre ses quartiers l’année prochaine ? En tout cas, on l’espère. car les habitants de khirkee commencent, à peine, à apprendre à se connaître…