Soixante-dix jeunes de 8 à 28 ans montent un spectacle autour du multilinguisme en Guyane. auteurs et acteurs, ils expriment leurs réalités, accompagnés par le théâtre de l’Entonnoir. Reportage à Kourou.
Ils sont une cinquantaine de jeunes de Kourou à répéter sur la pelouse pelée du Lycée Gaston Monnerville, ce mercredi après-midi de novembre. Il fait chaud à cette heure en Guyane. L’espace de répétition s’agrandit à mesure que le soleil décline et que l’ombre portée du bâtiment s’étire. En fond sonore, de la pop asiatique hmong alterne avec le chant de l’homme désespéré, un enregistrement d’une musique boni – un peuple marron du fleuve Maroni – datant de 1968. Et les voix des jeunes se font entendre. « On a tous connu le moment où tu dois faire l’intermédiaire entre ta mère, qui ne parle pas le français, et ta maîtresse lors des réunions parents-profs. » Ou encore : « Je voudrais un monde où aucun fleuve ne pourra prédestiner de ce que sera ta vie. » Depuis sept semaines, ce groupe, dont les âges varient de 8 à 28 ans, met au point un spectacle de a à Z, aidé par plusieurs
professionnels venus de l’hexagone. C’est la dernière ligne droite avant les représentations prévues pour début décembre à Kourou et à Cayenne. « Vous devez jouer à fond vos interprétations. ce sont vos paroles ! c’est votre moment ! » martèle Renata Armesto, metteure en scène. « Tout ce qui est dit, ce sont eux qui l’ont écrit lors
d’ateliers d’écriture ou d’improvisation », explique-t-elle.
Eduquer par l’art
« Là où le théâtre se veut habituellement mise en scène d’un texte, nous optons pour un « théâtre sans texte« , c’est-à-dire sans texte préalable, à partir de récits de vie » renchérit isabelle Niveau, la directrice artistique du théâtre de l’Entonnoir. Créé en 2001, il porte cette initiative à destination des jeunes, intitulée VDQ pour « vivre et Dire son Quartier ». « La compagnie tente ce double pari d’éduquer à l’art mais aussi par l’art. » « Le projet vise à mélanger les jeunes pour qu’ils se connaissent : scolarisés ou non, de différents quartiers, de différents milieux sociaux… »
Le mot passe de bouche à oreille, via l’école, mais VDQ réussit aussi à toucher des jeunes non scolarisés ou déscolarisés. « J’ai voulu participer parce que je suis timide », raconte Yannick, élève en terminale. « Ici j’ai pu parler de choses dont je n’avais parlé nulle part ailleurs. » « L’an dernier, le thème était la famille. cela a permis à certains d’entre nous d’avoir une vraie discussion avec leurs parents sur des choses qu’ils ne pouvaient pas dire avant », témoigne David, qui participe pour la quatrième fois à VDQ. Cette année, pour la 9e édition, VDQ a pour thème Babel Guyane. Et pour cause, le multilinguisme dans ce territoire amazonien est une réalité du quotidien.
Douze langues sont reconnues comme langues de France, parmi bien d’autres. « ces langues se « polinnisent », évoluent et montrent ainsi la complexité et la vitalité de la guyane », précise isabelle Niveau. créole guyanais, créole haïtien, langues des peuples marrons du Suriname, langues amérindiennes, français, portugais brésilien… Les langues dessinent les origines multiples des habitants de cet espace en constante recomposition.
Pour le théâtre de l’Entonnoir, VDQ est « un vrai projet de création et de formation qui est proposé aux jeunes, et non une animation socioculturelle. Souvent, les jeunes ont une vie artistique non visible mais réelle : ils chantent, font de la musique, dansent, dessinent … mais ne valorisent pas ces compétences car n’appartiennent pas au réseau culturel. Ce projet vise à les accompagner sur la route du travail et de l’exigence, à les guider, voire les professionnaliser. » Yokiendy Siffrard a participé à la première édition de vDQ en 2009. « L’intérêt était d’avoir des gens qui étaient disponibles à 100% pour répondre à nos questions » se souvient-il. L’an prochain avec d’autres jeunes kourouciens ayant, comme lui, une pratique désormais professionnelle du théâtre, il encadrera la 10e édition de VDQ. La relève est assurée.
Pour aller plus loin : lire l’article consacré au théâtre de l’Entonnoir sur africultures.com