Ecrit alors qu’il n’a que 28 ans, le
Devoir de violence de Yambo Ouologuem est un roman historique aussi truculent que foisonnant et que la critique a vite fait d’enfermer dans la zone sombre du « désenchantement ». vague expression née sous la plume de quelques éminences, fins connaisseurs des lettres africaines, le terme à lui tout seul dispensait de faire l’exégèse d’une œuvre majeure dans sa portée et novatrice dans son esthétique. Au temps de gloire, il n’en fut rien si bien que lorsque la charogne est arrivée, il était bien aise d’être désenchanté, le père Ouologuem. Lâché de toute part, accusé notamment de plagiat, l’éternel jeune homme, est allé se réfugier loin de la tourmente et du tumulte, a quitté Paris pour Sévaré, en terre malienne qui l’a vu naître. De façon sporadique, il refaisait surface, luisant comme une broche sur un vêtement élimé, sur l’étoffe d’un jeune auteur africain qui se taillait une réputation de non conformiste. Voici qu’il n’existait plus que comme un révolté, à peine mieux que désenchanté.
Plus que jamais, un effort (même infime) de relecture de ses livres devient urgent. Parce qu’une œuvre entière est restée en friche, traversant des années, vierge de toute interrogation et parvenant, comble de l’ironie, depuis son point d’anonymat, à tutoyer l’actualité. Elle veut la violence, Yambo en sert, elle veut interroger les limites de l’humanité, Ouologuem en fait son affaire. Tenons par exemple, cette sordide affaire de vente d’esclave en Libye ! Quelle horreur, quelle honte devant une si grande défaite humaine et quelle misère de voir que ce bruit persiste au travers de l’histoire !
Ecriture de la transgression
Dès lors une question s’impose à nous : celle de savoir si nous sommes enfin prêts à aller tout droit vers les extrémités qui fondent l’œuvre de Yambo Ouologuem ? Du
Devoir de violence (1968) aux
Mille et une bibles du sexe (1969, rééd. 2015)1 en passant par
Lettre à la France nègre (1969), on dirait que l’auteur traque, non sans jubilation dans le langage, la situation de trop. Il recherche le moment du basculement, dans l’horreur, dans le trash, dans l’absolu burlesque avec le bluffant sang-froid de celui qui sait comment y parvenir. Réinterrogeons romans et essais en notre disposition en attendant qu’une providence nous donne une nouvelle matière ; lisons-les en les croisant pour ce qu’ils sont, loin de toute polémique et de toute idéologie. il s’en dégage, au-delà d’une fronde fraîche et juvénile (Ouologuem a encore la vingtaine pour ses deux romans), un sentiment d’entassement que rendent si bien les exactions des Saïf, écrites sur le mode de la chronique historique. mais rien ne saurait mieux figurer ce mouvement que la littérature érotique, doublement empilatoire : d’abord parce qu’elle bouscule le tabou de l’exposition du sexe dans sa crudité et surtout parce que, fidèle à son propre principe transgressif, elle doit présenter toujours plus de transgression. L’amplitude temporelle du roman historique ou la compulsive voracité du sexe libertin répondent à un besoin d’auteur, un négrillon qui sait produire un foisonnement ou selon ses propres mots : « un
e incomparable série dont la qualité (et les motivations) ne se démentent pas » et les jeter en pâture, devant un public affamé. on a commencé à voir en Ouologuem visionnaire, peut-il faut-il le voir également grand joueur ou poker-menteur… Dans tous les cas, il y a un devoir de lecture à accomplir afin de retrouver dans cette œuvre la bien nommée « possibilité d’apocalypse » qui n’advient que sous une seule et unique forme, l’explosion.