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Un son, une histoire : « Les immortels » de Franklin Boukaka – 1967

Publié le 12 décembre 2017 par Africultures @africultures

Dans cette rubrique, partons à la rencontre d’un son dans son contexte intime, historique et social . À la rencontre de ce qu’il nous dit, aussi, aujourd’hui. le rappeur Rocé conduit ce rendez-vous. il sort prochainement une compilation de « spoken word francophone », Par les damnés de la terre . Des voix de luttes et de résistance , 1960-1980 et nous raconte quelques-unes de ses (re)découvertes.

« Les immortels » de Franklin Boukaka – 1967

Je me suis lancé depuis plusieurs années dans un projet fastidieux, celui de trouver des morceaux de musique datant des années 60 à 80, en français, venus de pays francophones. mais des morceaux engagés. Pour faire simple, je recherche en Afrique, dans les caraïbes, dans les pays où la langue française s’est imposée par la force de la colonisation, les voix des concernés. Trouver ces morceaux c’est aussi trouver des témoignages des luttes et des engagements sur les thèmes de l’exil, du colonialisme, des libérations. Un ami d’origine marocaine à qui je faisais écouter le projet m’a fait part de son mécontentement face à l’absence d’un morceau du Maroc. Je lui ai dit que ce n’est pas faute d’avoir cherché. mais j’ai du coup redoublé d’efforts. Quelque temps plus tard, un autre ami, lui d’origine tchadienne, a parlé de mon projet à son père qui lui a mentionné le nom de Franklin Boukaka, artiste congolais et de son morceau : « Les immortels ».

Un titre d’un congolais qui rend hommage à un marocain, en partie en français, l’autre en lingala.

Nous sommes en 1967. Et « Les immortels » est un hommage à Mehdi Ben Barka. Deux ans après l’assassinat de ce dernier. Dans le refrain du morceau, on peut entendre les noms de Lumumba, Che Guevara, Malcom X, Um Nyobe, Félix Moumié, Camilo Cienfuegos, Camilo Torres, Abdelkader, Coulibally, André Matswa, Simon Kimbangu, Albert Luthuli, Boganda, tous assassinés ou morts en prison au nom de la liberté, du nationalisme, du panafricanisme. Pour Franklin Boukaka, 1967 augure sa grande et très remarquée prestation au premier Festival culturel panafricain d’Alger de 1969, auquel il prend une part active dans l’élaboration du programme artistique congolais.

Mémoire des luttes

Ecouter ce morceau aujourd’hui c’est entrevoir la fraternité des peuples, le panafricanisme, les liens entre les luttes du tiers-monde, la force et la magie d’un combat commun, d’un rêve commun, que des peuples ont portés à une époque. En tant que rappeur, je donne des ateliers d’écritures dans les collèges, les classes sont composées d’élèves ayant des origines très variées. on ne le dit pas assez, mais ce sont pour beaucoup les enfants du colonialisme, assis à côté d’enfants de l’exil, assis à côté d’enfants des luttes ouvrières. on peut voir ça comme ça. Et ils ont comme points communs de devoir parler la même langue et d’avoir sûrement des aînés qui se sont retrouvés dans une fraternité de luttes. leur histoire à eux se passe ici en France, mais l’histoire officielle ne les cite pas, cite à peine leurs parents, et ne pose pas de questions. le manque de considération produit le manque d’identification, pour des enfants de générations sacrifiées dont l’histoire est pourtant bien liée à la France, dont l’histoire est bien française.

À une époque où les académiques aiment que l’on transmette le fameux « vivre ensemble » (qu’ils n’ont jamais vraiment côtoyé, eux, pour le coup), il serait intéressant de transmettre la mémoire des luttes, nous y découvririons des convergences surprenantes. Des véritables. lorsque je parle aux élèves de mon projet et que je leur explique que le morceau marocain que j’ai trouvé est celui d’un congolais, ils hallucinent. l’amusement et l’incompréhension sont les mêmes que lorsqu’on leur dit que Frantz Fanon, martiniquais, a épousé la cause algérienne. leur étonnement témoigne du cynisme de l’époque dans laquelle nous les faisons baigner, de l’absence de bienveillance dans ce monde qu’on leur laisse. Ça devrait nous alerter sur l’urgence d’y remédier.

Alors merci Franklin Boukaka. Merci à toi qui es mort trop tôt, assassiné en 1972 à seulement 32 ans, suspecté parmi d’autres comme défavorable au régime suite à une tentative de putsch. il me semble qu’à travers tes morceaux, ta musique et ton engagement, tu comptes toi aussi parmi les immortels.


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