Nos églises, notre histoire

Publié le 21 décembre 2017 par Magazinenagg

POUR DES SIÈCLES ET DES SIÈCLES Église Saint-Denis-Sur-Richelieu, Québec

Par

Louise V. Labrecque


   Lorsque j’ai vu l’église Saint-Denis-sur-Richelieu,  la toute première fois, je fus tout de suite désarçonnée, car je n’avais pas terminé mes recherches sur les Patriotes, et je me préparais à une histoire structurée. Comme l’église traditionnelle, parfaitement structurée, moi, la noblesse d’esprit des Patriotes, j’y crois toujours, et je me fous carrément de toutes les théories filandreuses qui ont cours depuis quelques années ! Et, je tombe dans mes lectures et mes recherches, dans une correspondance torrentielle, délirante, et par surcroît à sens unique, et tout ce qui se dit, alors, à cette église, à ce coin de pays, comme à son peuple, c’est : «sois un de ceux qui agissent vers la beauté « ! C’est donc cette phrase d’Hector de Saint-Denys-Garneau (1912-1943) qui m’est venue spontanément  à l’esprit, laquelle met en lumière notre riche héritage artistique et historique, laissé par un poète de chez nous mal connu, mal aimé et qui, de ce fait, n’aura pas assez écrit et publié, ce que nous pouvons regretter avec énormément d’inclinaison à l’imagination, à l’intérieur d’une œuvre entière, une fresque, même, dans ce bel esprit qu’il avait, éclairé, et sans aucun doute très sensible. De nos jours, devenu célèbre,  je n’arrive pas à parler de cette église – je ne sais pas pourquoi -  sans parler de lui ; parti bien trop tôt, hélas, à l’âge de 31 ans, il nous laisse, en même temps, comme un monument d’inspiration, avec ses poèmes magnifiques, son journal ; s’ajoute à cet ensemble déjà riche une correspondance, des articles et quelques textes épars. Saint-Denys Garneau est reconnu comme l’un des principaux écrivains de notre littérature québécoise ; une œuvre qui n’a connu aucune concession, critiquée de manière autant élogieuse ou méprisante, et ce, avec une multitude d’interprétations et de facilités, comme un aveu d’impuissance, d’incompréhension.  Moi, j’aimerais bien savoir «  comprendre Saint-Denys Garneau « son caractère particulier et les circonstances parfois complexes de sa passion d’écrire et, surtout, ses tentations vers la poésie. En effet, les critiques  furent plusieurs à s’attacher au personnage mythique que Garneau est rapidement devenu, nous laissant, toutefois, toujours sur notre faim, comme s’ils s’étaient tous montés en épingle les uns avec les autres, l’air de dire «  ça me ferait plaisir de le tuer cet homme-là ! «  Oui, certaines critiques sont profondément niaiseuses dans l'expression de cette petite violence ordinaire, au point que le surhomme dépasse aisément les contours desquels ils aiment à le réduire ; ainsi, le poète et l’homme en deviennent inchangés, dans le génie de l’écriture. Pauvres critiques de salon:   je n’aurai de cesse de m’indigner devant cette énormité de l’esprit vulgaire qui ne saurait reconnaître un chef-d’œuvre, ou un grand cru, quand bien même ils en seraient des témoins vivants. Laissez-moi donc tenter, non sans originalité, de faire humblement contrepoids ici, en me penchant un peu, et très modestement, sur sa poésie, ses toiles, et ses textes.


[Paysage d’hiver (église)] Hector de Saint-Denys-Garneau

        Justement, la poésie, les toiles et les textes ; tous pourfendus : pourtant, furent-ils bel et bien un reflet de la bourgeoisie de l’époque, comme se plaisaient à diffamer «  les critiqueux » et «  les journaleux «  de son temps ? En lisant et en contemplant son œuvre, les personnages sont vus de l’extérieur, comme l’auteur lui-même. Il faut quand-même un certain génie pour prétendre faire dans la critique juste d’une œuvre aussi grandiose que celle de Saint-Denys-Garneau. Je ne ferai pas d’études comparatives pour les besoins de cet article, mais j’y reviendrai sûrement plus tard, dans le cadre d’un projet plus important. Le rôle de critique, notamment en art et en littérature, est déplaisant, car forcément le cynisme implore grâce  ou alors, à l’inverse, le lyrisme monte à la tête avec ses belles idées ;  je ne songe donc pas un seul instant à m’y étendre, mais partager, simplement, avec vous, les fruits de mes découvertes. Comme ces personnages, tous plus vrais que nature, décrits du point du vue d’un salon d’Outremont, avec un langage correct, uniforme, ne saurait se réduire à ce qualificatif «  bourgeois » utilisé par les critiques de service, alors qu’ils ne sont que des militants qui parlent, tel un acte gratuit ; souvent indignés pour tout et pour rien. La mémoire de Saint-Denys Garneau mérite mieux ; aussi, l’on peut se demander ce qu’il aurait eu le temps de nous laisser, à nous, contemporains, s’il avait eu la santé, au lieu d’apprendre, dès l’âge de 16 ans, ces complications cardiaques, causées par une fièvre rhumatismale, contractée quelques années plus tôt. Son drame, tout son drame véritable, il est là, lequel teinta fortement son œuvre et forgea son caractère. Sans doute est-ce la dimension personnelle de ce drame qui touche le plus, sachant l’immense talent de l’auteur, ainsi que sa sensibilité très vive. De la même manière, je ne sais pas pourquoi l’œuvre de Saint Denys Garneau me fait penser à une église, et pourquoi j’y pense en évoquant celle-là, justement, celle avec les Patriotes. De plus, Hector de Saint-Denys-Garneau ne fut pas un Patriote, du moins, pas au sens classique du terme.  Est-ce donc la beauté vitale et fatale de ce lieu de culte, qui imprime ce sentiment remarquable, et qui donne cet air détaché,  comme avec du lointain dans le regard ? Véritable église-musée, en effet, elle inspire fort, de par les Trésors historiques qui s’y trouvent, à l’intérieur, ainsi que par ce qui se dégage de son architecture puissante et du lieu même.
   Également, l’œuvre de Saint-Denys-Garneau est faite de portrait intérieurs, comme mille tableautins uniques ; ce sont des fragments conservés. J’aimerais comprendre les liens ici ; ce sont des éléments d’un pacte autobiographique, peut-être, ou une certitude puisant sa source dans une indéfectible rencontre (je ne parle pas seulement de littérature). L’église, en soit, possède les allures d’un théâtre de la Renaissance, avec ses galeries latérales, ses pans à double étagement de fenestration ; avec une signature, comme une décoration digne des plus grands châteaux. Un chef-d’œuvre architectural ! Construite en 1792, il s’y trouve des tableaux magnifiques, et des objets d’art anciens, en marbre blanc, ciselés en Italie. La région, même, impressionne : c’est là qu’a eu lieu la Bataille de Saint-Denis, en somme le début de la Rébellions des Patriotes, le 23 novembre 1837.  Tristement célèbre, Saint-Denis-Sur-Richelieu fut le lieu du meurtre du lieutenant Georges Weir par les Patriotes, lesquels s’appelaient eux-mêmes, «  Fils de la Liberté « ; c’est à partir de là que commença officiellement la Rébellion des Patriotes, après avoir gagné une bataille contre l’armée britannique.

   Enfin, quand-même, et pour finir, l’action se passe dans un Québec qui n’a pas l’excuse facile : nous sommes encore, hélas, un peuple parfois approximatif, ambigu, l’air de ne pas assumer ce qu’il porte en lui-même, s’exprimant trop souvent par la litote (« c’est pas mauvais, c’est pas pire « ). Les raisons de cela sont connues, et je ne vais pas m’étendre sur la question ici, d’autant plus que je suis à écrire la conclusion de ce papier. Je préfère nettement terminer cette rédaction sur une note positive,  sur la nécessité de redresser les choses ; or, nous érigeons trop souvent la facilité ou la médiocrité en vertu. Il y aurait beaucoup à en dire… à raconter et à écrire encore.    Ainsi, vous m’excuserez de ne pas finaliser cet article. Je laisse plutôt le mot de la fin à Hector de Saint-Denys-Garneau, qui sait écouter sa voix intérieure beaucoup mieux que moi. Ce n’est pas un simple soliloque, mais un véritable dialogue avec lui-même, lequel enchantait tant, qu’il en chante encore.
Le Jeu
Ne me dérangez pas je suis profondément occupé Un enfant est en train de bâtir un village
C’est une ville, un comté
Et qui sait
Tantôt l’univers.
Il joue Ces cubes de bois sont des maisons qu’il déplace
et des châteaux
Cette planche fait signe d’un toit qui penche
ça n’est pas mal à voir
Ce n’est pas peu de savoir où va tourner la route
de cartes
Ce pourrait changer complètement
le cours de la rivière
À cause du pont qui fait un si beau mirage
dans l’eau du tapis
C’est facile d’avoir un grand arbre
Et de mettre au-dessous une montagne pour
qu’il soit en haut.
Joie de jouer! paradis des libertés!
Et surtout n’allez pas mettre un pied
dans la chambre
On ne sait jamais ce qui peut être dans ce coin
Et si vous n’allez pas écraser la plus chère
des fleurs invisibles
Voilà ma boîte à jouets
Pleine de mots pour faire de merveilleux
enlacements
Les allier séparer marier
Déroulements tantôt de danse
Et tout à l’heure le clair éclat du rire
Qu’on croyait perdu
Une tendre chiquenaude
Et l’étoile
Qui se balançait sans prendre garde
Au bout d’un fil trop ténu de lumière
Tombe dans l’eau et fait des ronds.
De l’amour de la tendresse qui donc oserait en douter
Mais pas deux sous de respect pour l’ordre établi
Et la politesse et cette chère discipline
Une légèreté et des manières à scandaliser les
grandes personnes
Il vous arrange les mots comme si c’étaient de
simples chansons
Et dans ses yeux on peut lire son espiègle plaisir
À voir que sous les mots il déplace toutes choses
Et qu’il en agit avec les montagnes
Comme s’il les possédait en propre.
Il met la chambre à l’envers et vraiment l’on
ne s’y reconnaît plus
Comme si c’était un plaisir de berner les gens.
Et pourtant dans son oeil gauche quand le droit rit
Une gravité de l’autre monde s’attache à la feuille
d’un arbre
Comme si cela pouvait avoir une grande importance
Avait autant de poids dans sa balance
Que la guerre d’éthiopie
Dans celle de l’Angleterre.[i]


[i]

GARNEAU, Hector de Saint-Denys, 

Poésies. Regards et jeux dans l’espace. Les Solitudes

, Montréal, Fides, 1972, p. 33-34.