Dans la lutte contre la corruption, le suivi et le contrôle des patrimoines des gouvernants sont indispensables. D’où l’instauration de la déclaration de patrimoine à laquelle doivent se soumettre le Président de la République, les chefs et les présidents des institutions, les membres du gouvernement, les personnalités élues, les gouverneurs et vice-gouverneurs de district, les membres de la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance ou toute autre personne agissant pour le compte de l’Etat et utilisant, dans le cadre de ses fonctions, les moyens financiers de l’Etat. (Article 5 de l’ordonnance n°2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption). Ces déclarations de patrimoines peuvent-elles être un moyen efficace de lutte contre la corruption ?
Une transparence gardée secrète....
La lutte contre la corruption ne saurait se faire sans la traçabilité, le suivi et le contrôle des patrimoines des gouvernants. C’est pourquoi, la déclaration de patrimoine est devenue incontournable. Toutefois, il ne suffit pas d’adopter la déclaration de patrimoine pour arriver à bout de la corruption des hauts fonctionnaires de l’Etat. En effet, l’article 9 de l’ordonnance n°2013-660 du 20 novembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption confère un caractère confidentiel à cette déclaration. Cela constitue un réel danger à plusieurs niveaux. D’abord, cela viole l’esprit de la déclaration de patrimoine qui est la transparence. La confidentialité des déclarations de patrimoines met un voile sur la transparence. Ensuite, elle prive d’information les médias et la société civile, ce qui les empêche de suivre et contrôler les patrimoines de leurs gouvernants pendant et après leurs fonctions. Enfin, le secret de la déclaration de patrimoine pourrait devenir une épée de Damoclès dans la main du Président de la république contre les récalcitrants et ceux qui lui tiennent tête. Puisque les citoyens ne connaissent pas le contenu les patrimoines déclarés, il est donc aisé de fomenter un coup contre ‘’les indésirables’’ en les accusant de corruption et en brandissant des éléments que ni les médias ni les populations ne peuvent démontrer ou démonter.
Une transparence bien opaque
Les médias publics ivoiriens couvrent régulièrement les cérémonies de déclarations de patrimoine des personnalités et hauts fonctionnaires. Cependant, les patrimoines déclarés par les personnalités sur lesquelles pèsent de graves soupçons de détournement de fonds publics non élucidés ne sont pas passés au scanner par la Haute Autorité à la Bonne Gouvernance (HABG) pour infirmer ou confirmer ces soupçons. Parmi ces personnalités deux méritent une réelle interrogation. L’actuel conseiller spécial du président de la République chargé des affaires juridiques, institutionnelles et politiques, Monsieur Cissé Bacongo qui, lors de son mandat de ministre de l’enseignement supérieur en 2013, avait été sous le feu des projecteurs dans le scandale de la réhabilitation des universités publiques. Il était soupçonné par les uns d’avoir détourner des milliards de francs CFA tandis que pour d’autres l’on cherchait à le salir. Le directeur administratif et financier de son ministère avait été alors limogé. Quant à l’actuel Président du conseil, économique, social, environnemental et culturel, Charles Koffi Diby qui a récemment mis à jour sa déclaration de patrimoine ; il avait été accusé d’enrichissement illicite et de conflit d’intérêt dans l’attribution de marchés publics par le journal l’Eléphant déchaîné dans non numéro 105 du 16 novembre 2012. Ministre de l’économie et des finances à l’époque des faits, Charles Koffi Diby selon les résultats des investigations de ce journal, était propriétaire de 22 sociétés, toutes gérées par les membres de sa famille restreinte et ayant raflé tous les appels d’offre lancés par son ministère. Avec plusieurs maisons de luxe en France, des Hôtels à Abidjan et ailleurs ; Charles Koffi Diby affiche une fortune personnelle estimée à plus de 50 milliards de francs CFA. L’accusé n’a jamais pu porter la contradiction au journal l’ayant incriminé. Les patrimoines de ces deux personnalités ont-ils été minutieusement vérifiés par les services de la HABG ? Les populations ivoiriennes méritent de savoir si ces deux personnalités (pour ne parler que d’elles) sont coupables des faits qui leurs ont été reprochés afin qu’elles subissent la rigueur de la loi ou si elles sont innocentes afin que leurs réputations soient blanchies et qu’elles puissent être dédommagées.
Aucune indépendance de l’organe de contrôle
Pour rendre les déclarations de patrimoine plus efficaces et en faire un véritable moyen de lutte contre l’enrichissement illicite des agents de l’Etat, la HABG devrait jouir d’une pleine indépendante et avoir une stratégie pragmatique. Malheureusement, elle est rattachée au Président de la république, ses dix membres dont nombre n’ont aucune expérience du domaine viennent de divers secteurs et son chef est nommé par le Président de la république. Pour renforcer son indépendance, il serait judicieux de la rattacher au parlement ce qui lui donnerait les coudées franches pour contrôler tous les patrimoines y compris celui du Président de la république. Il faudrait revoir sa composition pour y faire siéger des personnes reconnues pour leur probité et intégrité. Dans ce sens, des représentants des médias et des ONG œuvrant dans le domaine de la bonne gouvernance pourraient y siéger. De plus, son président devrait être désigné par ses membres ainsi que son budget inscrit à la loi de finance et adopté en même temps que le budget de l’Etat pour lui permettre un bon déroulement de ses activités. Dans sa stratégie, la HABG devrait, dans un premier temps, limiter la déclaration de patrimoine aux personnalités politiques et hauts fonctionnaires les plus stratégiques. Ainsi, elle aurait le temps de bien mener toutes les investigations nécessaires pour que le contrôle soit plus efficace. Une fois, le système bien huilé, elle pourrait alors élargir graduellement la liste.
Les déclarations de patrimoines faites de façon confidentielle ne contribuent pas à lutter efficacement contre la corruption. Cette manière de lutter contre la corruption n’est rien d’autre qu’un feu de paille. Il est donc nécessaire de rendre la déclaration de patrimoine publique et de réformer la Haute Autorité à la Bonne Gouvernance afin qu’elle soit réellement indépendante et adopte une stratégie pragmatique de travail. Sans cela, la corruption continuera de régner en maître en Côte d’Ivoire.
Safiatou Ouattara, chercheure ivoirienne. Le 20 décembre 2017.