Les citations en gras sont celles de la Marquise de Sévigné, grande épistolière du Grand siècle, son témoignage nous apprend beaucoup de choses sur la vie à son époque.
Alors que tout le monde se casse la tête pour savoir quel plat servir à Noël, il est bien inutile de se mettre la rate au court-bouillon, l’important c’est que tout le monde soit réuni et que les huîtres soient fraîches. C’est bien ce qui a causé la mort du célèbre chef, François Vatel, en 1671.
François Vatel au service des plus grands
Avant de devenir le petit chouchou de la cour de Louis XIV, François Vatel a dû faire ses preuves dans d’autres cuisines que celles du roi. D’ailleurs, il ne connaîtra jamais celles de Versailles. Bref. François Vatel a commencé au château de Vaux-le-Vicomte en 1653 auprès du surintendant Nicolas Fouquet. Il a notamment servi Anne d’Autriche et Louis XIV lors de l’inauguration du château en 1661.
François Vatel organise l’inauguration de Chantilly
En 1671, les grands travaux de restauration du château de Chantilly touchent à leur fin et le prince de Condé veut marquer le coup. Faut dire que depuis qu’il a essayé de piquer le pouvoir à Louis XIV alors qu’il était gamin durant la Fronde, il se la joue plutôt discret mais là, il est temps d’enterrer la hache de guerre et Condé invite Louis XIV et toute sa cour à découvrir le nouveau château. Et c’est pas juste une petite pendaison de crémaillère, non, à l’époque de Versailles, on veut en mettre plein la vue. Louis XIV vient d’installer la galerie des Glaces dans sa demeure, alors pour l’épater faut tout donner.
Aussi, trois jours et trois nuits de fêtes sont prévus ainsi que trois banquets pour accueillir le roi Soleil évidemment mais aussi les 3000 membres de sa cour. L’avenir du prince de Condé (qui est ruiné et tente d’entrer à nouveau dans les faveurs du roi pour renflouer les caisses) est donc entre les mains de François Vatel qui doit préparer des menus et des mises en scène dignes du roi en quinze jours seulement et Vatel est épuisé des jours passés à tout mettre en place.
« La tête me tourne, lui répliqua-t-il ; il y a douze nuits que je n’ai dormi, aidez-moi à donner des ordres. »
Le premier soir des festivités, le jeudi 23 avril 1671, les invités arrivent après une partie de chasse dans le parc de Chantilly. Et là, premier couac, 75 convives sont morts empoisonnés. Non, je déconne. 75 personnes se pointent au repas alors que ce n’était pas prévu et il manque quelques tranches de rôti. Vatel se sent trahi, il pense qu’un complot se joue contre lui afin de le faire tomber en disgrâce. Or, il n’en est rien et presque personne ne remarque qu’il n’y a pas de rôti pour les quelques bonhommes qui ont tapé l’incruste sans prévenir. En revanche, tout le monde a bien remarqué que le feu d’artifice a été un vrai fiasco à cause du brouillard, mais rien qui ne puisse chagriner Vatel. Pourtant, il faut que le prince de Condé retrouve Vatel en fin de soirée pour le rassurer sur la qualité du repas et l’enthousiasme des convives.
« Mais non, Vatel, lui dit le prince avec bienveillance, rien n’est si beau que le souper du roi.
Monseigneur, répartit Vatel, votre bonté m’achève ; je sais que le rôti a manqué à deux tables
Point du tout, répliqua le prince ; ne vous fâchez pas, tout va bien. »
Malgré tout, il est à cran.
Marquise de Sévigné
Au menu du dîner le vendredi soir, du poisson, eh oui c’est jour maigre de carême. Pour en mettre plein les yeux et plein les papilles aux invités, Vatel décide de ne pas proposer des poissons péchés en rivière mais des poissons de mer comme la sole, le turbot ou encore la limande et la raie. Des poissons qu’on trouve toute l’année mais qu’on fait parvenir dans les terres que ponctuellement, il a également commandé des coquillages et autres fruits de mer. Dès le mercredi, Vatel a passé commande dans un port de Haute-Normandie, à 200 kilomètres de Chantilly, à Boulogne-sur-mer, mais aussi dans la baie de Somme, à Ault afin de pouvoir nourrir tout le monde, même les 75 mange-quignons. Pour que tout soit prêt dans les temps, les poissons doivent arriver dans la nuit de jeudi à vendredi. A 4h, une première livraison arrive. A 8h, il n’y a rien de plus…
Le suicide de François Vatel
A 10h, les poissons ne sont pas là et Vatel ne supporte pas l’affront qu’on fait à sa réputation. Il monte dans sa chambre et se jette trois fois sur son épée. On le retrouve mort au moment même ou sa livraison de poisson arrive au château. François Vatel avait 40 ans et il a fait un sacré burn-out.
« Voici ce que j’apprends en entrant ici (à Chantilly, vendredi soir 24 avril 1671), dont je ne puis me remettre et qui fait que je ne sais plus ce que je vous mande, oyant que ce matin, à huit heures, la marée n’était pas encore arrivée, Vatel n’a pu soutenir l’affront dont il a cru qu’il allait être accablé, et, en un mot, il s’est poignardé. Vous pouvez penser l’horrible désordre qu’un si horrible accident a causé dans cette fête ; songez que la marée est peut-être arrivée comme il expirait. Je n’en sais point davantage présentement ; je pense que vous trouverez que c’est assez. Je ne doute que la confusion n’ait été grande : c’est une chose fâcheuse à une fête de cinquante mille écus. »
A l’annonce de la mort de Vatel, le prince de Condé s’effondre, non pas pour les festivités en cours mais bel et bien parce qu’il avait une profonde estime pour son officier de bouche.
« Vatel monte à sa chambre, met son épée contre la porte et se la passe au travers du cœur (sic), mais ce ne fut qu’au troisième coup, car il s’en donna deux qui n’étaient point mortels. Il tombe mort. La marée, cependant, arrive de tous les côtés ; on cherche Vatel pour la distribuer ; on va à sa chambre, on heurte, on enfonce la porte, on le trouve noyé dans son sang ; on court le dire à M. le Prince qui fut au désespoir et qui pleura ; c’était sur Vatel que tournait tout son voyage en Bourgogne, M. le Prince dit au roi fort tristement : « On dit que c’était à force d’avoir de l’honneur à sa manière. »
Le suicide étant un péché grave aux yeux de l’Église, Vatel ne peut pas être enterré de manière digne. Gourville l’a déposé dans une fosse non bénite. Mais on pense que le roi est intervenu pour que le cadavre du brave homme puisse être enterré, car le suicide étant interdit, les sanctions pour la dépouille sont qu’elle doit être traînée face contre terre puis jetée aux ordures. Or, il n’en est rien pour Vatel qui repose dans le cimetière de Vineuil-Saint-Firmin.
Les festivités continuent
Il faut un peu plus que le suicide d’un mec important pour que la fête s’arrête. Tout le monde est au courant de la mort de Vatel mais Gourville qui a pris la relève fait de son mieux et tout le monde ripaille comme si rien ne s’était passé. En hommage, le poisson n’est pas servi à table. Ce qui est quand même con mais enfin…
« On dîna très bien, on se promena, on joua, on fut à la chasse ; tout était parfumé de jonquille, tout était enchanté (…) l’on mangea comme si un grand deuil n’était pas inopinément tombé sur la cuisine ».
Les trois jours se déroulent à merveille et le prince de Condé obtient à nouveau les faveurs de Louis XIV qui malgré l’insistance du prince prit la décision de ne pas rester pour le dernier soir des festivités. En revanche, une partie de la cour est restée pour s’en mettre plein la panse…
Pour ceux qui se poseraient la question, si la crème chantilly a bien été inventée à Chantilly, ce n’est pas Vatel qui en est à l’origine (elle existait en Italie déjà un siècle avant sous le nom de neve di latte, elle a été importée par Catherine de Médicis lors de son mariage avec Henri II).
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