« Il fait nuit. Seule dans sa chambre, marie recherche la signification de ce nom : May ... ainsi se nomment les fées de la poésie arabe. Il vient de Perse et signifie le vin. Marie est folle de joie. Elle a enfin trouvé un patronyme qui lui ressemble. May Ziadé vient de naître. 1920 au Caire. Dans les cafés et les salons, les grands esprits du temps se rencontrent et parlent librement. »
Un amour platonique unissait Gibran et May et en avait fait d'eux un couple mythique. May Ziadé, poète féministe libanaise engagée, a vécu en Palestine et au Caire dans les années 20 où un avenir littéraire l'attendait. La suite de sa vie était restée tabou et mystère. Semblable au destin de Camille Claudel, la soeur de Paul Claudel. Internée au Liban par sa famille libanaise, nous allons découvrir ce mystère dans ce livre où l’auteure, Darina al Joundi, fait sienne la vie emblématique de May Ziadé.
« Au Liban j’ai trouvé l’enfer. Au Liban ils m’ont humiliée, ils m’ont traînée à l’asile, ligotée, camisole, et ils m’ont jetée dans ce lieu, « Asfourieh »(*), où j’ai goûté tant de fois à la mort. » écrit
Darina al Joundi« Esther, sa confidente, sa fidèle infirmière, lui avait raconté que dans la presse égyptienne on disait qu’elle faisait une dépression et qu’elle avait complètement perdu la tête, qu’elle était devenue folle, et que sa famille au Liban l’avait internée dans un hôpital psychiatrique pour la soigner. » Mais justice lui sera rendue. Les tribunaux allaient reconnaitre qu’elle fut victime d’une injustice et d’une escroquerie familiale qui voulait la mettre sous tutelle. C’est grâce à sa prise de parole en publique , la conférence qu’elle a donnée publiquement (évoquant toujours Gibran) qu’elle a réussi a gagner son procès. Voici la lettre que j'ai trouvée suivie de la réponse de Gibran.« Mes épanchements auprès de vous - que signifient-ils ? Je ne sais pas vraiment ce que je veux dire par tout cela. Mais je sais que vous êtes mon bien-aimé et que je vénère l'Amour. Je dis cela en sachant parfaitement que le plus petit Amour est grand. La pauvreté et les épreuves qui vont de paire avec l'Amour sont de loin préférables à la richesse sans lui. Comment se fait-il que j'ose avouer ces pensées ? En faisant cela, je les perds... néanmoins, j'ose le faire. Dieu merci, j'écris tout cela au lieu de le dire, parce que si vous étiez maintenant ici, présent en chair et en os, je me rétracterais et vous fuirais pour longtemps, et ne vous permettrais de me revoir qu'après que vous ayez oublié mes paroles.»
« Je me reproche même de vous écrire, car en écrivant je trouve que je prends beaucoup trop de libertés ... et je me rappelle les paroles des sages de l'Orient : « Il vaut mieux qu'une jeune femme ne sache ni lire ni écrire. » A ce point de mes réflexions se profile devant moi Thomas l'incrédule. L'hérédité a-t-elle quelque chose à voir avec ceci, ou s'agit-t-il de quelque chose de plus profond ? Qu'en est-il ? Je vous en prie, dites-moi ce que c'est. Dites-moi si j'ai raison ou tort, car j'ai confiance en vous, et par tempérament je crois tout ce que vous me dites ! Que j'aie tort ou raison, mon coeur vous est acquis, et il vaut mieux qu'il reste auprés de vous en gage de protection et de tendresse pour vous garder et vous chérir. »
« Le soleil a sombré sous l'horizon lointain, et entre les nuages, merveilleux de forme et d'aspect, est apparu un astre unique et brillant, Vénus, la déesse de l'Amour. Je me demande si cet astre est habité par des gens comme nous, qui aiment et sont remplis d'un désir éperdu. Se peut-il que Vénus ne soit pas comme moi et n'ait pas son Gibran - une lointaine et belle présence, qui est en réalité très proche - et se peut-il qu'elle ne soit pas en train de lui écrire en cet instant même, alors que le crépuscule vacille au bord de l'horizon, sachant que l'obscurité succédera au crépuscule, et que la lumière succédera à l'obscurité; que la nuit succédera au jour et que le jour succédera à la nuit, et que cela continuera maintes et maintes fois avant qu'elle ne voie son bien-aimé ? Toute la solitude du crépuscule se glisse ainsi en elle, et toute la solitude de la nuit. Elle jette alors sa plume, et elle se protège de l'obscurité derrière le bouclier d'un seul nom : Gibran. » May, le Caire 15 janvier 1924
New York, 26 février 1924
Nous avons eu aujourd'hui une terrible tempête de neige. Mary, vous savez combien j'aime toutes les tempêtes et en particulier les tempêtes de neige. J'aime la neige et sa blancheur, j'aime la voir tomber dans un profond silence, au fond des vallées inconnues et lointaines où les flocons scintillent à la lumière du soleil, brasillant un instant avant de fondre et de couler doucement en murmurant leur chant.
J'aime la neige et le feu ; tous les deux procèdent de la même source, mais mon amour pour eux n'a jamais été qu'une prédisposition pour un Amour plus grand, plus vaste et plus sublime. (...)
Je suis heureux que vous m'ayez dit que ma barbe ne m'appartient pas réellement. Vous me faites immensément plaisir, et je crois que le renoncement à ma barbe est l'un de ces évènements d'importance internationale. Cette barbe a occupé une grande partie de mes pensées et m'a causé des épreuves bien inutiles. Mais maintenant que la responsabilité de ma barbe ne m'appartient plus, je lui épargnerai le contact de ma main et le fil de mon rasoir. Laissons-en la responsabilité à ceux qui la revendiquent. Que Dieu bénisse ceux qui en réclament la propriété. Ainsi, votre perspicacité m'évite de me compliquer la vie avec l'aspect pratique de la taille en question...
(*) Asile des fous