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La collision des signes

Publié le 15 décembre 2017 par Le Journal De Personne

Nous ne sommes plus sous-informés. Nous sommes plutôt surinformés.

Les signifiés fusent. Les signifiants diffusent l'information. N'importe quelle information, de toute provenance et pour toute destination.

Tout est désormais lié, tout a un lien avec tout, avec rien.

Et cette profusion des signes ne va malheureusement pas sans confusion entre les lignes.

C'est un univers plus diversifié qu'unifié. On dira, on dirait qu'il est éclaté au point que nous passons le plus clair de notre temps à rassembler les morceaux pour reconstituer l'image du monde.

Reconstitution difficile même si aucun élément ne nous manque, tout le contraire, il y a des éléments en trop, de trop !

À charge ou en surcharge... trop c'est trop !

Notre représentation n'est pas mutilée mais saturée. Les vases communicants débordent. Nous sommes les gouttes de trop !

Nous nous informons sur un monde que nous n'avons plus le temps de former.

Il est d'ailleurs, ici comme ailleurs, de plus en plus difforme. Insensé et insensible à toutes les douleurs ou les couleurs qu'il véhicule ou désarticule.

Et tout le monde se sert sans savoir à quoi cela peut servir... d'acheter tel ou tel objet ou de vendre tel ou tel sujet.

Nous savons quel dossier il a consulté dans sa chambre à coucher, quel pied il s'est fait lécher dans son bureau, quel cachet il a avalé pour augmenter le volume de sa virilité, mais on ne sait pas à quoi ça sert, ni à quoi ça peut servir de le juger ou de le condamner.

À force de récolter des faits, ils n'ont plus d'effet sur nous.

Nous n'avons plus le temps de les peser, d'y penser. Nous sommes dépassés.

Des faits... des faits... des faits qui nous indiquent tout au plus que les jeux sont faits !

Rien n'y fait. Rien à faire.

Il y a eu une collision entre un bus et un train à perpignan. Un accident. On ne compte plus les morts parmi les enfants. Le choc a été si violent qu'on a du mal à identifier les corps. Toute la région est meurtrie.

Est-ce que ce sont nos passages à niveau qui ne sont pas au niveau de nos progrès technologiques ?

Ou est-ce que ce sont nos décideurs qui n'ont pas un bon niveau de compétence et qui sont donc à l'origine de ce genre de défaillance ?

Collision des signes ou signe de collusion entre agents irresponsables... les voiles s'arrachent sur la toile.

Qui va condamner qui ?

Les pouvoirs publics ou le destin impudique ?

Qui est responsable ?

Réponse : personne. L'enquête finira par révéler les causes, qui sont elles-mêmes déterminées par d'autres causes qui le sont à leur tour, pas d'autres et ainsi à l'infini...

Pour exprimer notre peine, on se dit "pas de veine !"... alors qu'il ne s'agit que de faits qui s'enchainent... entre eux, il y a collusion plutôt que collision, car nous dit Spinoza, expert en la matière, il n'y a rien de contingent dans la nature, tout est nécessaire. Un passage à niveau n'équivaut pas à un risque zéro... cela relève d'un fin calcul de probabilités.

La volonté n'est pas libre, ni synonyme de liberté...

Les hommes ne se croient libres de vouloir ce qu'ils veulent que parce qu'ils ignorent les causes de leur volonté.

Terrible désillusion : nous prenons les effets pour les causes, le paraître pour l'être, le signe pour le sens.

Nous ne savons pas ce qui s'est vraiment passé, mais nous savons ce qui va se passer : la SNCF va tirer son épingle du jeu, les pouvoirs publics vont améliorer leur capacité de contrôle technologique des réseaux ferroviaires, les proches des victimes seront en partie indemnisés car on ne l'est jamais assez, de nouvelles associations protectrices seront crées en attendant le prochain accident.

C'est cynique, c'est tragique, mais c'est la vie.

Qu'est-ce qui a changé depuis que le monde est monde ?

C'est que cet événement a été relayé par toute la planète, sur internet. Disons qu'il n'est pas passé inaperçu. On l'a su ou reçu à tous les coins de rue... tout juste de quoi signifier aux uns et aux autres, que nous sommes tous embarqués dans le même paquebot, que si nous ne sommes pas acteurs, nous sommes spectateurs du mouvement, de tout ce qui se meut ou nous émeut.

Que le monde n'est plus que cette goutte d'eau qui déborde et que nous ne sommes plus en mesure de contenir.

Nous en sommes là et sans au-delà : tous les faits sont équivalents, les bons comme les mauvais, les plus signifiants comme les moins signifiants.

On meurt, mais les signes demeurent.

J'ai connu un drôle d'oiseau qui m'a prédit que tout dans notre existence sera tôt ou tard réduit à un réseau d'influence...


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