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(Anthologie permanente) François Amanecer," Le Corbeau interrompu"

Par Florence Trocmé

François Amanecer  le corbeau interrompuFrançois Amanecer publie Le Corbeau interrompu, poème, précédé de Vu d’en haut – poétique, aux éditions de Corlevour.


PREMIÈRE NUIT
I
   « Une nuit
     nous te veillerons
   sous une lanterne
   éteinte »

Brille sous la lune le bicorne glacé
   de l'homme vert-de-gris
qui voulut en soi épuiser tout sommeil
dissimuler le songe
rêvant seulement d'un soleil qui se tint à son zénith le jour entier
   sans désemparer
mais c'est la nuit — et seul il demeure, seul en soi
   avec seul l'ennui de qui vit dédoublé.
Les étoiles même se sont démultipliées.
Il est hors de sa mémoire : barque sans rameurs glissant
   sur l'étendue noire
point de bruissement ni murmure
   de ressac
pas même la simple mémoire du vent
   ne ferait que l’heure
   fut passée
II

     « ... S'ébattant à l'aube dans les eaux
     scintillantes
     du petit lac suspendu, ou
   sur les drailles
     baignées de soleil ... »
La marmotte a poussé son cri.
Lui s'est tenu en retrait tandis que les hommes
   rampaient entre les roches.
Un seul coup de feu a retenti
   dans la montagne.
*
Il se souvint du renardeau égaré parmi les vignes –
renard imberbe — les hommes aux canines saillantes
   tapant les barbelés de leurs bâtons
et la résonance gutturale de leurs cris dialectaux
   entre mer et ciel aux Cinq terres
in extremis le renard, aperçu intouché,
   se glissant parmi les pierres et les hommes
   de retour,
   bredouilles

sur la place du village.
III
   « Là où les tours se fissurent
   où la muraille tombe
   en poussière
     (là où fleurissait
   le lys sauvage)
   Si rien ne dit
   le temps
   qui passe
   je deviendrai folle »

La route tourne et file, déportée, centrifuge.
Le visage aperçu sous le tricorne bleu — si calme — a les yeux
   très écartés.
(Non loin, des jeunes filles, prises dans une ronde, se confient
un secret.)
Une petite fille est couchée en chevreau, inaperçue
   dans l'herbe haute
le triangle qui, de sa chevelure abondante, tient lieu de racine
   est placé bas sur le front.
La maison jaune a vacillé à l'extrême bord de la falaise.
L’œil a maintenant couleur d'absinthe. La bouche est
   pleine d'araignées. La nuque s'est durcie.
En face, de l'autre côté du grand détroit, des hommes sont
   nus au soleil,
ils sont prostrés sur des gradins de ciment noir.
Une étrave fend le flot qui les sépare
de la douleur commune
court l'onde laiteuse, très vite.

     « et bientôt de glaise
     debout, confondus
   magnifiés
   par la splendeur calcaire sous la lune bleue
     leur sourire
   rigoureusement
   horizontal »
François Amanecer, Le Corbeau interrompu, poème, précédé de Vu d’en haut – poétique. Revue Nunc, éditions de Corlevour, 2017, 80 p. 16€, pp. 25 à 28.
François Amanecer est poète et essayiste. Après deux ans à Harvard, sa vie professionnelle l’a mené en Espagne, en Italie, en Grèce… Son premier recueil de poésie, Silex I (Éd. Gérard Klopp), est paru en 1996. Depuis, il a publié de la poésie dans les revues Po&sie, Grèges, Nunc, Nouveau Recueil, etc. - ainsi que des essais esthétiques dans les mêmes revues ou dans Études, Positif, Kephas, Diogène, Communio. Ses ouvrages les plus récents sont Cri ténu du grèbe (poème en huit chants) et Le tri poétique (essai), publiés aux Ed. de Corlevour en 2010.
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