« 18 – Face à l’auteur donc, le regardeur. Il faut bien qu’il soit doué lui aussi : un peu autiste peut-être, par sort de naissance ; ou très artiste, par inclination et par vouloir. Il est un être qui a le don de vivre des expériences d’emprunt, ses neurones-miroirs sont sensibles ; pourtant ce ne sont pas des stimuli qui l'orientent, mais plutôt sa propre inclination. Là où il l'applique, sa faculté de s'insérer dans ce qu'il perçoit, de se glisser dans la peau d'un autre, est considérable. Il prend son temps et s'arrête aux détails ; son attention est un tamis au crible très serré. Avec émotion et comme au ralenti il perçoit les textures, la matérialité des sons et des couleurs, et leur singularité aussi. La cohérence d'ensemble de la composition que ses sens appréhendent lui importe peu, et assez peu le contexte dans lequel elle s'inscrit ; cependant il saisit les choses dans leur globalité, il est prêt à s'en emplir. Balayant de son attention tout le champ du poème, c'est comme si, pour lui, chaque vers contenait en germe tous les autres. Il déambule tel un promeneur dans une campagne, s'immerge dans son émotion et, par inadvertance, sort du cadre, se trouve dans un hors-champ : cris d'oiseaux qu'il savait reconnaître à partir d'un fragment hésitant. Un monde où tout avait un nom. Les yeux bandés, le visage couvert d'un masque de fibres végétales. »
François Amanecer, Le Corbeau interrompu, poème, précédé de Vu d’en haut – poétique. Revue Nunc, éditions de Corlevour, 2017, 80 p. 16€, p.19.