Le phénomène est bien connu : un individu se trouve accusé d’un crime ou d’un délit infamant, la presse s’empare de l’événement et en fait, surtout s’il est célèbre, ses gros titres. Mais si, plusieurs mois plus tard, le même individu bénéficie d’un non-lieu à la clôture de l’instruction, ou d’un verdict d’acquittement, bref, s’il est blanchi des accusation qui étaient portées contre lui, la nouvelle fait rarement la Une. Tout juste reçoit-elle parfois l’honneur discret d’un entrefilet dans le bas d’une page intérieure. Le « scoop », le sensationnel, le croustillant ou le sordide font vendre, tandis que la réhabilitation n’a jamais produit de gros tirages. Et tant pis si la réputation d’un homme ou d’une femme, condamné(e) avant tout jugement par l’opinion, est à ce prix.
Michel Audiard semble assez bien illustrer ce propos. Il y a quelques semaines, la sortie en librairie du numéro 20 de la revue Temps noir, spécialisée dans la littérature policière, fut suivie d’un inhabituel petit raz-de-marée médiatique. Il faut dire qu’elle contenait un fort dossier, intitulé « La Vérité sur l’affaire Audiard », qui révélait que le dialoguiste, pendant l’Occupation, avait écrit une douzaine d’articles culturels dans une feuille collaborationniste. Il avait alors 23 ans. La presse et les réseaux sociaux firent leurs choux gras de l’information. On n’a pas si souvent l’occasion de déboulonner la statue du Commandeur, surtout lorsque ses succès populaires agacent depuis l’origine quelques bien-pensants. Les titres ne laissaient aucune ambigüité sur les jugements portés par les rédacteurs, qui allaient du plutôt spirituel « Michel Audiard : une jeunesse bien occupée » au péremptoire « Michel Audiard, collabo impénitent ».
Je crois avoir été l’un des très rares à publier un papier intitulé « Michel Audiard : la chasse à l’homme » (que l’on pourra lire en suivant ce lien) dans lequel je soulignais – tout en ne me montrant aucunement indulgent à l’égard des quelques phrases antisémites contenues dans les écrits qu’Audiard signa dans L’Appel – combien la méthodologie de l’enquête menée par Temps noir me paraissait suspecte, puisqu’elle avait uniquement été menée à charge et soutenue par des arguments dont beaucoup ne résistaient guère à un examen critique.
Or, la publication récente d’un article de Valeurs actuelles (30 novembre 2017, pp. 32-34) vient sérieusement remettre en cause l’image si vite créée d’un Audiard « collabo ». Sous la plume d’Arnaud Folch, « Audiard résistant, la preuve » met en lumière un certificat de Pierre Grolleau, responsable du secteur bordelais du réseau Navarre (devenu ensuite Alliance) qui fut chargé de sa liquidation au niveau national après la Libération. Ce certificat, daté du 25 janvier 1946, atteste que Michel Audiard appartenait depuis septembre 1943 à cette organisation en qualité d’agent « 0 ». Pour mémoire, le premier article publié dans les colonnes de L’Appel date de juillet 1943. Selon le dossier de liquidation du réseau Alliance conservé au service historique de la Défense (cote 17 P 72), les agents « 0 », au nombre de 442 (sur un total national de 2407 membres), étaient des « agents occasionnels ». Audiard n’aurait évidemment pas pu prétendre à la croix de Compagnon de la Libération, ni même à la médaille de la Résistance, mais il s’était, au moins occasionnellement, engagé dans un réseau efficace qui fut en grande partie décimé par une police allemande qui ne faisait aucune différence entre un agent «0» et un agent permanent.
Exhumé des archives que le dialoguiste conservait dans sa maison de Dourdan par son petit-fils, ce document ne l’exonère certes pas des quelques phrases antisémites qui lui sont reprochées – et qui empoisonnaient déjà la presse de l’entre-deux-guerres -, mais il montre que Michel Audiard n’avait rien de commun avec le collaborateur plus ou moins zélé qu’on avait voulu livrer à la vindicte publique 70 ans après les faits. La réalité est toujours plus complexe que ne le souhaiteraient les tenants du manichéisme.
Or, cette information ne semble avoir été relayée par aucun média. Voilà qui est pour le moins curieux. Valeurs actuelles n’étant pas ma lecture de chevet, c’est d’ailleurs à un lecteur de ce blog que je dois d’avoir eu accès à cette information. En relisant quelques-uns des articles qui vouaient Audiard aux gémonies il y a moins d’un mois, une réplique des Grandes familles m’est revenue à l’esprit, qu’il aurait pu brandir s’il vivait encore : « Mais je ne suis pas contre des excuses ; je suis même prêt à en recevoir »…