« Tous les poèmes (…) reposent sur une organisation de la rupture. Au fond, chaque vers, puisqu'il s'arrête, rompt avec quelque chose et c'est par ruptures successives qu'un rythme s'installe, d'une part, et d'autre part qu'il y a cette volonté, dans le vers, de rompre la linéarité. Récemment, j'assistais à un débat où il était question de la linéarité dans le récit et dans le poème. Je pense que dans le poème, elle est contrecarrée par cette rupture que chaque vers institue en fin de ligne. Alors que je me demande si la prose n'est pas condamnée au récit, même s'il s'agit d'autre chose que du récit traditionnel, après tout peut-être qu'un développement philosophique est aussi un récit et une réflexion critique est aussi un récit, même si ça n'a pas les mêmes modes et si on ne les reçoit pas de la même manière. À partir du moment où il y a prose, je me demande s'il n'y a pas forcément adoption de la ligne du temps, et à partir du moment où on entre dans la ligne du temps, on raconte forcément quelque chose, me semble-t-il. Sans doute que le vers s'inscrit contre ce mouvement-là : je ne veux pas du temps, je veux sortir du temps. »
Bernard Noël, du jour au lendemain, entretiens avec Alain Veinstein, éditions de l’Amourier /INA, 2017, 348 p., 23€, p.285.