La chambre à coucher, secret des liens familiaux en Thaïlande ?

Publié le 13 décembre 2017 par Neutrinou

Le creuset d'une relation parents-enfants réussie : quelques planches, un niveau de confort qui tend vers epsilon ?


Je me suis souvent demandé à quoi tenait la force du lien entre les parents et les enfants thaïs. La solidarité qu'induit souvent la pauvreté ? Je passe. Il y a quelque chose d'autre. Alors voici une hypothèse - une toute petite hypothèse et sans doute pas la seule explication.
Au fait, tu te souviens du lit où tu dormais quand tu étais petit ? Moi oui. C'était un lit en bois qui avait servi à plusieurs cousins. Avec des barreaux assez rapprochés pour qu'on ne puisse ni s'échapper ni se coincer la tête dedans. Il devait faire un mètre de long : une cage à la Louis XI... Mais après ?
Après, il y a eu le lit de ma grand-mère. Pour d'obscures raisons, la moins ténébreuse étant qu'il n'y avait qu'un seul lit à deux places à l'étage, ma grand-mère nous a accueillis dans son lit, ma sœur et moi.
Ce qui signifie plusieurs choses. D'abord, qu'elle faisait lit à part avec mon grand-père. Sans doute depuis qu'elle avait appris qu'il avait une poule - une maîtresse régulière...
Ensuite, que ma mère avait fui mon père et son caractère ombrageux, et s'était réfugiée chez ses propres parents - elle y a habité un bon cinq ans avant de prendre un logement à part.
Enfin, que ma mère était prête à céder ses prérogatives maternelles - pour un prétexte aussi futile qu'une taille de lit.
J'ai un tellement bon souvenir de ces veillées, de ces lectures qui ne duraient jamais assez longtemps ! Si je ferme les yeux, j'entends la voix de ma grand-mère qui "prenait le ton", je vois son regard baissé sur le livre, son profil nappé d'ombre par la lumière douce de l'abat-jour. Et sur la table de nuit, la boîte ronde et violette de réglisse sur la table de nuit, près de la burette d'huile goménolée, et la fiole d'essence algérienne censée dégager les bronches - armes inoffensives que ma grand-mère brandissait au premier éternuement.
Je la soupçonne d'avoir pris plaisir à lire Sylvain et Sylvette. Même si, comme Nam aujourd'hui, nous demandions à ce qu'elle nous relise le même livre, sinon le même passage cinquante fois. Encore ! Encore ! Encore !...
Inutile de dire que j'adorais ma grand-mère. Mais quand j'ai eu sept ans, ma mère a trouvé à redire à cette promiscuité. Parce qu'elle s'inquiétait de l'emprise de sa mère sur ses propres enfants ? Pas sûr. Mais elle était tenante d'une éducation à l'anglaise (elle combattait Sylvain et Sylvette en me lisant Kipling). Un garçon qui dort avec sa grand-mère : incompatible avec ses idées éducatives. Le petit mâle doit suivre un chemin rude pour devenir un homme...
Une chambre était libre : on m'y a expédié - paradis perdu. Pour faire passer la pilule, on m'a fait valoir qu'elle correspondait à un changement de statut : j'étais un grand maintenant. J'y ai cru. Les faux honneurs te feraient accepter n'importe quoi... et en l'occurrence, je n'avais pas le choix. 
Mais quel est le schéma en Thaïlande ?
La nuit, Fon se partage entre notre lit et celui de notre fille. Elle s'endort tous les soirs avec elle. Elle se relève au milieu de la nuit pour me rejoindre - mais vole au chevet de Nam dès qu'elle l'entend soupirer. Hors de question de la laisser geindre trois minutes avec l'espoir qu'elle se rendorme.
Les parents thaïs exigent des enfants une obéissance plus stricte que celle qu'on demande en Occident - parce que les parents savent, ils ont l'expérience. En revanche, ils ne se sentent absolument pas obligés de leur "apprendre ce que c'est, la vie", et leur enseigner, par exemple, qu'ils ne sont pas des enfants-rois. Et que les parents peuvent parfois désirer un peu d'intimité.
Personnellement, je trouve qu'exiger trop d'obéissance est absurde. Mais le principe d'une éducation un peu stricte pour enseigner aux enfants la frustration, la maîtrise de soi, l'attente me semble tout aussi idiot dès qu'il s'applique sans motif réel. Les seuls motifs de répression sont pour moi les dangers (jouer avec des ciseaux...) ou ce qui menace le bien-être ultérieur de l'enfant (ne pas se gaver à en être malade... et encore !) La bonne éducation ? Elle doit être enseignée et non imposée. Et doit venir du cœur, si possible.
Les parents thaïs se sentent dispensés d'émanciper leurs enfants. Ils ne se réjouissent pas de leur autonomie précoce et ne font rien pour les pousser hors du nid. Les parents occidentaux ont la phobie d'élever un Tanguy. Ils pensent que l'indépendance est un facteur de réussite dans la vie. Alors que les parents thaïs pensent que de solides racines familiales permettront à leurs enfants de mieux supporter l'adversité quand viendra le moment.
Mes pensées vont à tous ces enfants européens et américains qui dorment dans leur chambre, seuls - pour leur bien...et s'envolent du nid à vingt ans pour ne revenir qu'à contrecœur, à Noël ou à Thanksgiving... Tandis qu'à Bangkok, une fille de ma connaissance fait quatre heures de bus tous les samedis pour dormir chez ses parents...
La communauté de sommeil avec les enfants est-elle une règle en Thaïlande ? En tout cas ce n'est pas une obligation : il y a de l'espace dans les fermes. Fon me dit qu'elle dormait avec ses parents, sur le même grabat, avec son frère. "Comme ça, on se tient chaud, on se sent bien, j'aimais..."
Elle sait bien qu'il y a beaucoup de pères pédophiles en Thaïlande. Mais qu'y faire, il y aura toujours des méchants. Et le plaisir d'être en famille, n'est-ce pas le plus important ?
Fon a dormi avec ses parents jusqu'à l'âge de onze ans. Onze ans ! Je n'ai pas osé lui demander si elle les avait vus faire l'amour…
Qui sait le rôle de la promiscuité dans les relations familiales - promiscuité tellement honnie en occident ? Heureux ceux qui sont bardés de certitudes...

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