Face du son, façon de ciel
Son qui serait l’équivalent d’une transparence. Certains poèmes, ou plutôt fragments – mais ce triptyque forme un tout – sont, en ce sens, frappants, comme ce : « Où / ce qui n’est, // ne cesse / pas. » Son qui appartient et conserve pourtant sa qualité essentielle « d’inattribué ». Car comment en connaître la source et en définir les causes, les conséquences ? Le son ne s’attribue pas, il contribue. À quoi ? À rien. Ou plutôt, à ne rien faire d’autre qu’être là. Être son. Être face du son. Reconnaissable et inconnu. Dans sa façon de ciel.
Poème de la façon d’être, de la naissance du mot sans être. Qu’il naisse et déjà le son, d’avant le mot, perd en puissance, en justesse. Son traversant. Comme on parle ailleurs de gisant. Le traversant est dans le mouvement, dans sa perpétuation de n’être qu’à peine décelable. Il faudrait pouvoir écrire le son primitif, le son archaïque sans l’écrire (les voix exactes restent « pariétales »). Un poème ne devrait pas se lire mais se respirer ou se fondre dans le corps de l’autre, dans le corps du lecteur, qui n’est alors plus seulement lecteur mais absorption, phénomène sonore d’absorption. Le corps devient la note tendue réduite à rien, d’elle-même, de son corps. Le son, le « fibral ». Ce à quoi le poème s’arrache – car il y a poème, l’amuïssement n’est pas complet, ou plutôt l’empêchement n’est pas complet puisque le livre existe – est l’arrachement même : « Suint / quand // respiré, / touché. » Intangible, inappropriable, ex-ténuant.
Face du son relève plutôt d’une forme de constat et bat en brèche toute quête, vaine par essence. Le poème ne va pas chercher, il ne va pas se chercher, il n’est pas question de plonger dans « l’inconnu pour trouver du nouveau » : le poème git au plus profond dans ce qui n’est pas, dans ce qui hurle et n’est pas, et pourtant est, dans ce qui hurle de son prolongement de ne pas pouvoir hurler.
« Réverbération », cette « face du son », venue d’une source qui n’a pas mille facettes mais n’en possède aucune, pourrait se transformer en un face au son. De « du » à « au », on glisse vers la destination qui n’a pas de destination. Ce qui s’absente en s’éloignant, non pas se détache mais devient poreux, et laisse dans l’insoutenable légèreté de l’être. Là est la profondeur même. Dans ce que l’écho ne révèle jamais, qui l’a fait naître.
À moins que, de « du » à « au », cette face du son retrouve l’autre face, celle qui lui manque pour résonner ou s’incorporer et traverser à nouveau : le lecteur.
Et c’est peut-être là qu’est cette façon de ciel, chez Christian Hubin, là, dans la rencontre, dans l’espace de la rencontre, dans le poème, seul lieu où se sentir vivant. Car qu’est le poème sinon ce qui fait face, ce qui crée visage, image de mots reconnue comme. Qu’est le poème sinon la chair écartelée, une violence insoumise. Qu’est le poème, enfin, sinon l’érection du son dans la porosité du langage. Et c’est dans ce son, dans la face de ce son qui résonne en nous, que nous associons l’imperceptible, le donné et l’enfoui de ce qui nous a fait naître et n’être, et qui se cherche dans le poème. Et se reconnaît. Il s’agit du son, de la face du son. Comme unique. Comme élevé. Vers la transparence.
Régis Lefort
Christian Hubin, Face du son, L’Etoile des Limites, 2017, 56 p., 11€