Les contes troubles de Leonardo Crémonini

Publié le 10 décembre 2017 par Pantalaskas @chapeau_noir


« Mythologies quotidiennes »

L’assimilation de Leonardo Crémonini au mouvement de la Figuration narrative m’a toujours laissé perplexe. Certes le peintre avait participé à l’exposition « Mythologies quotidiennes » au Musée d’art moderne de la Ville de Paris en 1964, manifestation que l’on a voulu considérer comme référence historique de ce mouvement de la Figuration narrative. Pourtant la liste des artistes figurant dans cette exposition, avec la présence de noms tels que Raynaud, Niki de Saint-Phalle, Requichot, Raysse, Brusse notamment, montre combien cette référence à la  Figuration narrative est sujette à caution.
Le peintre Italien a fréquenté l’Académie des Beaux-Arts de Bologne puis  l’Académie de Brera à Milan, avant de s’installer à Venise, où il est remarqué par Peggy Gugenheim. Généralement plus jeunes, les peintres de la Figuration narrative puisent leur peinture dans la bande dessinée, la photographie. Ils ont retourné la caméra obscura vers le tableau, transformant l’objet capteur en épiscope projecteur. Leur peinture est issue de l’image. Crémonini n’appartient pas à cet univers. Il est peintre. Et son rapport au cinéma relève d’une toute autre motivation. Dans les années 1950, alors qu’il s’installe à Paris, il travaille dans une veine expressionniste que l’on peut découvrir actuellement au 24 rue Beaubourg à Paris. Au-delà de cette période moins connue de son travail mais qui montre comment son parcours est enraciné dans une histoire de la peinture, c’est la véritable identité de Crémonini que l’ont peut redécouvrir dans l’exposition.

Contes troubles

L’univers du peintre s’affirme alors dans ces scènes souvent balnéaires au premier abord paisibles. Mais son regard sur un quotidien déjà imaginaire nous offre un monde de tensions entre les êtres. Le cadrage décadré des plans invite au panoramique. Fenêtres, jeux de miroirs, plages, enfants; nous sommes déjà dans le « Mort à Venise » de Visconti. Car Crémonini était l’ami des cinéastes italiens. Ses tableaux, dans le glissement progressif du cadre, nous renvoient aux lents travellings du cinéma.
« Crémonini dérange. Les rubriques de l’art contemporain, comme nos habitudes » observait très justement Régis Debray.
Si la peinture de Crémonini, dans son jeu trouble des rapports humains, dans le malaise qu’elle induit n’est pas véritablement narrative, c’est le peintre lui-même qui se révélait un conteur exceptionnel. Ayant rencontré Crémonini il y a plus de quarante ans, j’avais gardé en mémoire cette musique vocale et, le retrouvant dans les années quatre-vingt dix, l’homme n’avait rien perdu de cette qualité de conteur. Leonardo Cremonini me semblait, lorsque je l’écoutais parler de son travail, habité, comme son œuvre, par les tensions, les doutes. Mais la voix, le ton à la fois imprégnés de lyrisme et de nostalgie, emportaient tout dans un long travelling. Et cette voix tranquille semblait apaiser tous les tourments qui se cachaient derrière sa peinture. Crémonini a disparu il y a déjà sept ans et cette exposition remet enfin en lumière à deux pas du Centre Pompidou une œuvre qui mérite mieux que l’oubli de ces dernières années.

Photos Galerie LT

« Leonardo Cremonini 1925-2010 »
Du 30 novembre au 23 décembre 2017
24 rue Beaubourg
75003 Paris