par Edgar Pisani
Malgré cinquante ans d'efforts, nul ne sait dire si l'Union européenne est un espace économique ou une puissance en gestation. Elle rassemblait à l'origine des pays de même civilisation, de croyances religieuses parentes et de niveaux de développement comparables. En s'étendant, elle compromet l'ambition politique que ses fondateurs nourrissaient. Elle est une région de la mondialisation. Sa bureaucratie foisonnante invente en vain des chantiers de coopération. Faute d'un acte politique improbable, elle ne sera pas la puissance d'un type nouveau à laquelle ses fondateurs et ma génération rêvaient. Que serait-ce de l'Union méditerranéenne ? Au-delà du destin européen, la complexité de la réalité régionale rend dérisoire l'idée d'une Union méditerranéenne. L'islam et la chrétienté, les colonisateurs et les colonisés, les développés et ceux qui aspirent à l'être, les pays pétroliers, l'instabilité du Proche-Orient, le conflit israélo-palestinien, la tension gréco-turque, l'incertitude et l'instabilité à l'est de la mer Adriatique : mille faits et autant de menaces interdisent de rêver.
Mais, dès l'abord, deux questions se posent : quelle est, à l'est, la limite orientale de la Méditerranée ? Irait-elle jusqu'à la Mésopotamie ? Au cas où le nombre des pays participant serait faible, s'accommoderait-on de ce qu'elle soit déséquilibrée ? A la différence de l'européenne, l'Union méditerranéenne n'a de sens que si tous les Méditerranéens y participent ; or nous savons bien que ce n'est pas le cas.
N'Y PENSONS PLUS !
Les problèmes que le projet d'Union méditerranéenne ne pouvait pas ne pas poser aux pays européens sont délicats : qui participerait à l'Union méditerranéenne ? L'Union, ses membres méditerranéens, pas les autres, quelques-uns d'entre eux ? Qui assurerait la compatibilité des engagements européens et méditerranéens ? Qu'envisageait politiquement le promoteur du projet, qu'en attendait-il ? De quel poids l'initiative avortée pèserait-elle sur la présidence française du Conseil européen ?
N'y pensons plus. Mais préoccupons-nous de tout ce qui doit être fait en Méditerranée ! Pour y réussir, il y faut agir secteur par secteur, problème par problème, techniquement, sans prétention politique. A force de travailler ensemble, les civilisations, les pays, les hommes se connaîtraient et mesureraient l'intérêt de coopérations "techniques", sans arrière-pensées politiques.
Assistant, dans les années 1960, à une réunion organisée par la Banque mondiale et devisant avec quelques collègues, je disais combien était surprenant le fait que n'existe pas une banque régionale de la Méditerranée. Je n'eus pas le loisir d'argumenter, car l'un de nous m'interrompit d'un "jamais" sans appel ni justification. C'était un diplomate américain et il ne s'agissait pas d'une boutade !
Edgar Pisani,
ancien ministre, ancien président de l'Institut du monde arabe, ancien Commissaire, ancien eurodéputé
parrain de Relatio-Europe
Cette tribune est publié dans la Monde daté du 2 juillet