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Comme un faux air de blues…

Publié le 10 décembre 2017 par Zegatt

Les Champs Elysées frémissaient dans le froid, ils fredonnaient emmitouflés. Emmanuel Todd n’était pas là pour nous faire une étude sociologique de ce phénomène de masse, de cette foule agglutinée, du dernier voyage de celui qui au-delà de nos frontières s’est vu surnommé l’« Elvis français », Johnny Hallyday.

« Johnny Hallyday », c’est ainsi que presque tous ils l’appellent ; c’est à peine si son nom Jean-Philippe Smet est rappelé à une ou deux reprises. Celui qu’on célèbre dans les rues de Paris aujourd’hui, c’est un symbole. Et pour enterrer un symbole, une « idole », il faut de la démesure. Le vrombissement des motos, les moteurs des Harley qui pétaradent, combien sont-ils à suivre le cortège et le cercueil crème ? Plus de cinq cent, peut-être sept cent qui font sonner les klaxons, qui donnent un coup d’accélérateur, qui accompagnent le rockeur sous les applaudissements de la foule.

La foule justement, méli-mélo multiple, s’est déplacée jusqu’à la capitale. Ca se devine à leurs gueules, ils n’ont pas le côté saupoudré du Parisien, ils ont ces grandes gueules, comme le dit la chanson, ces gueules fidèles.

A aucun moment l’ambiance n’est lourde. Des souvenirs s’échangent, des rencontres se font, l’admiration et l’émotion prennent le dessus au passage du cortège. Moi je suis venu en curieux, j’ai sorti mes crayons, je griffonne une gueule de Johnny : « Mieux que pour Victor Hugo ! » Quelques regards s’attardent sur mon carnet, deux me demandent à prendre une photo, à côté de moi un sosie de Johnny d’avant la période barbe se prête aux séances de poses…

Johnny Hallyday n’était pas un créateur, il n’était pas de ceux qui révolutionnent l’art, qui renversent les codes. C’était un interprète : il jouait avec les codes, il les dépassait sur scène. Johnny Hallyday n’était pas un artiste qui dénonce la société, mais il l’a aidée à vivre – et c’est beaucoup.

Il était notre Michael Jackson à la française. Même lorsque l’on n’est pas fan, on connaît un bon nombre de ses refrains. Radio, télévision, fêtes nous les ont appris. Et là où écrits sur une page blanche, signés d’un auteur ou mis en images ces textes seraient immédiatement fades ou naïfs, la chanson, sa voix rocailleuse ont pu embarquer l’amour et son public tout à la fois. L’amour, la naïveté ne durent pas en littérature. En chanson, oui.

Il y avait ce paradoxe tout à l’heure, à voir le show business, l’intelligentsia, les politiques défiler, se serrer à l’intérieur de l’église de la Madeleine. Et dehors, le populaire, le provincial se masser et scander le nom de Johnny, entonner quelques couplets, réprimer quelques larmes. La cérémonie pour les rassembler, la tradition. Les « Amen » murmurés pendant la célébration religieuse, quelques signes de croix devant les écrans plasma…

Cette France qui est venue jusque là rendre ses hommages, c’est la France populaire, la France d’en bas comme on dit parfois. C’est pour cela qu’aujourd’hui, autour des Champs Elysées, Paris ne tire pas la gueule. Les gens se parlent, ils prennent le temps d’échanger, de discuter, de se prendre en photo, de chanter, d’applaudir.

C’est cette France à qui le président Emmanuel Macron s’adresse lorsqu’il fait son discours de premier de la classe, les toisant d’un « vous » aux accents parfois un peu méprisants. Mais il est bientôt débordé par sa classe récalcitrante qui scande des « Johnny » dans l’air froid.

Sur les écrans qui retransmettent la cérémonie, au milieu des stars et des figures du petit écran, il y a la simplicité des mots qui parvient parfois à surmonter ces paradoxes. Jean Reno qui lit Prévert débordé par ses émotions, Line Renaud tellement forte le temps de quelques phrases. On s’étonne de Philippe Labro qui convoque Nietzsche, heureusement le regard est attiré par Guy Gilbert, le curé des loubards, blouson noir qui camoufle la chasuble, et qui donne un instant l’impression que la foule des bikers, rockeurs, bluesmen est elle aussi rentrée dans la Madeleine.

Johnny, c’était un jalon, un marqueur temporel. Johnny Hallyday : un panneau quelque part, un totem autour duquel se déhancher dans les soirées de mariage, les fêtes familiales.

Le dépasser, parler de lui au passé, ça donne soudain un sacré coup de vieux.

Comme un faux air de blues…



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