Tête à tête(s)
J’ai poursuivi mon parcours des films directement accessibles sur le site de « l’Arte Kino Festival » par celui de Thomas Arslan (1) intitulé « Bright Nights » ( Helle Nächte ).
Je pense que j’étais attiré a priori par le fait qu’il se déroule pour une grande part en Norvège, durant ces mois de l’année où la lumière tardive donne aux paysages un aspect d’infini. Tout devient lumière en effet. Et quand on s’éloigne des villes pour se glisser près des massifs enneigés, dans la proximité permanente de l’eau, tout semble devenir liquide.
La vie se dissout, les corps s’oublient à eux-mêmes. Une sorte de rêve prend toute sa force d’attraction et un sentiment d’irréalité environne tous les êtres. Comme une fin très douce qui pourrait venir à chaque instant.
Je me souviens des chemins de saint Olav et de l’hommage aux enfants morts.
Un homme et son fils, ou plutôt un ado, avant d’être un fils, parce qu’ils ne se sont jamais vraiment côtoyés auparavant. Simplement séparés par un divorce et par des modes de vie différents.
Butés tous les deux.
Mais la mort d’un grand-père les a fait voyager ensemble vers la maison isolée où l’ancêtre s’était réfugié, loin de tout, de toute présence humaine. Une mort douce, elle aussi, invisible tant les objets du quotidien subsistent encore dans la maison. Prêts à l’usage, à l’héritage, à la transmission. Si l’on veut bien. Un départ au-delà des forêts, de l’autre côté. Mais de quel côté exactement ?
Vacuité de la marche
Alors il reste des vacances. Le père, comme le fils sont devant un vide à combler. Chacun le sien, en plus de celui laissé par le disparu. Vacuité de vacances imaginées par le père comme une errance, comme une marche, comme la possibilité de parler. Enfin de parler. De parler enfin. Mais ils ne savent pas. Ils sont taiseux. Tous les deux.
Ils pourraient mordre, se mordre. Ils le font par coups de tête, en criant par à-coups. En se bousculant. En se créant des épreuves physiques et émotives. C’est simplement la route qui les sauve. Parce qu’il y a toujours un horizon. Plus loin, mais certainement pas en arrière. Il faut bien avancer.
Au dehors tout est beau, englobant, lisse. Et dans leurs têtes tout est dur, clivant et rugueux.
A la fin. Parce qu’il y a une fin, dans un aéroport anonyme où ils devront chacun retourner à la vie, leurs vies, après avoir déposé la mémoire des morts et leurs propres mémoires fissurées.
A la fin il restera un regard, au moment où la proximité qui n’a cessé de peser est interrompue.
Plus légers, sans doute.
Plus intimes. Vraiment ?
Dans tous les cas, un éloge de la lenteur. Un cinéma qui prend le temps des images et qui s’en nourrit. Se nourrit du temps et des images jusqu’à leurs limites extrêmes.
Et je repense aux enfants morts de juillet 2011. Comment faire autrement ?
…and that he shall stand at the latter day upon the earth; and though after my skin worms destroy this body, yet in my flesh shall I see God; whom I shall see for myself, and mine eyes shall behold, and not another; though my reins be consumed within me.”
(1) Né en 1962 à Brunswick dans le nord de l’Allemagne, Thomas Arslan fréquente l’école primaire d’Ankara à partir de 1967 avant de finir sa scolarité à Essen en 1982. Il effectue son service civil à Hambourg, puis s’installe à Munich. Diplômé d’histoire et d’allemand, il intègre en 1986 l’Académie allemande du film et de la télévision de Berlin. Après plusieurs courts métrages, il enchaîne sur son premier long métrage TURN DOWN THE MUSIC (1994) présenté à la section Panorama de la Berlinale. Professeur de film narratif à l’Université des Arts de Berlin depuis 2007, il a souvent participé à la Berlinale, dernièrement en 2013 avec le western germano-canadien GOLD.