Elle a choisi de quitter le Canada pour vivre en France. De parler et d‘écrire en français. Dans ce livre qu’a republié Actes Sud en octobre 2016, Nancy Huston explore sa situation d’expatriée, son rapport à la langue, et ce que tout cela fait à la mémoire. Elle dit d’abord que l’expatrié.e est coupé.e de son enfance, alors que l’enfance n’est pas séparée de l’impatrié.e. En ce qui concerne la langue, celle qu’elle a choisie ne sera jamais telle que la parlent les natifs : un enfant acquiert une langue par de multiples moyens, et, ailleurs, Jacques Roubaud écrit que « L’amour de la langue naît avec la naissance de la langue en nous… Il se peut que l’amour de la langue soit déjà là avant notre naissance. » Comment acquérir donc une langue étrangère ? Et qu’en faire ? Elle cite Samuel Beckett : « Je vais le leur arranger, leur charabia. »
Et la langue qu’elle utilise m’apprend des choses sur la langue que je croyais maîtriser. Voilà que ce qu’elle écrit vient troubler ma perception du monde, ma mémoire même. Par les récits qu’elle fait de sa « mémoire trouée ».
J’apprends d’elle des mots que je n’utilisais pas, soit parce qu’elle a su les adapter de sa langue maternelle, soit parce qu’elle a été attentive là où je ne l’étais pas.
Et son vertige d’expatrié me fait prendre conscience de celui qu’a peut-être connu mon père, ayant abandonné sa langue maternelle autour de ses vingt ans, et qui, arrivé en France avec ses parents vers l'âge de 7 ans, ayant quitté l’école à 13 ans, jouait allègrement avec ces mots : « Mon père ce héros au long bec emmanché d’un long cou ».