01 juillet 2008
Paranoïa chez les Majors
Des sorties d'album bien orchestrées
Embargo sur les dates de publication dans la presse, restrictions
d'écoute en avant-première, disques «marqués» traçables envoyés aux
médias, albums originaux conservés sous clé jusqu'au dernier moment...
Un pan de l'industrie discographique est frappé de paranoïa aiguë. Dans
un contexte de sinistrose mondiale où la vente de CD enregistre des
baisses de volume continuelles (de 42 milliards en 1999 à 19,6
milliards fin 2006, non compensés par les revenus du téléchargement
légal) et où la plupart des maisons de disques procèdent à des
restructurations, la crainte de la piraterie ajoute au climat de
psychose ambiant.
Du coup, les grands acteurs de la filière musicale surprotègent certaines de leurs poules aux œufs d'or qui représentent un enjeu financier majeur. Ainsi récemment de la major britannique EMI qui, pour se prémunir de toute fuite sur Internet, a convié des journalistes français à une session d'écoute du dernier album de Coldplay (qui pèse à ce jour 35 millions de ventes) sous haute surveillance: saisie temporaire des téléphones portables, fouille au détecteur de métaux, obligation pour les journalistes de signer un «accord de confidentialité» leur imposant de ne pas parler du disque avant une date définie de juin sous peine de poursuites.
Si certains ont été prompts à dénoncer une violation du principe de liberté de la presse vis-à-vis de telles pratiques et que d'autres ont pointé une stratégie publicitaire sciemment orchestrée, ces mesures restrictives démontrent surtout qu'au sein de la sphère pop, ce sont plus que jamais les lois du marketing et de la communication qui règnent, au détriment de la critique.
Reste que ce type d'usage n'est pas inédit, même s'il concerne surtout les vedettes internationales. Valeurs refuges d'une industrie malade, les mégastars portent plus que jamais sur leurs épaules la survie de la branche. Une année sans disque de Norah Jones, Madonna, Céline Dion ou Eminem, et le marché vacille. Dans le business plan des quatre grandes firmes phonographiques (EMI, Warner, Universal et Sony-BMG), cela peut ainsi avoir des conséquences désastreuses. Et les producteurs de limiter les piratages potentiels.
Editeur des Anglais Coldplay, EMI en avait d'ailleurs déjà fait l'amère expérience il y a trois ans. Annoncé pour le début 2005, le troisième album du groupe, X & Y, était finalement paru en juin. Trop tard, hélas, pour entrer comme budgété dans les recettes de l'exercice 2004. A l'annonce de cet ajournement, l'action d'EMI a perdu 16% et les bénéfices du groupe ont été réévalués à la baisse, occasionnant un manque à gagner estimé à près de 70 millions de francs. A l'époque aussi, pour la première fois, aucun CD de Coldplay n'avait été envoyé aux médias européens. Adressé par Internet aux filiales nationales, un seul exemplaire de l'album a été gravé, assorti d'un dispositif anti-copie. Pour Viva la Vida cette année, le niveau de sécurité était à nouveau maximal. Des leurres étant même mis en circulation tandis que le moindre transfert de données entre la maison mère et ses branches nationales était dûment protocolé et surveillé. Et tous ceux en contact de près ou loin avec Coldplay ont signé une clause de confidentialité.
Si Carla Bruni (1,5 million d'albums écoulés) ne peut se prévaloir des chiffres de vente de Coldplay, son statut spécial d'épouse de chef d'Etat vaut toutes les précautions. Aucune copie de Comme si de rien n'était, son album à paraître le 11 juillet, ne circule librement pour l'heure. En revanche, son label Naïve n'a fait parapher aucune clause de confidentialité aux journalistes durant les pré-écoutes. Encourageant même ceux-ci à publier leur opinion et avançant au final la date de sortie du CD afin de profiter de l'écho médiatique. Les royalties du disque profiteront, elles, aux œuvres caritatives ou humanitaires auxquelles Carla Bruni a choisi de reverser le produit de ses ventes.