À l’approche des fêtes et des grands chassés-croisés de fin d’année, tout le pays frétille à l’idée de se mettre sur son 31. C’est peut-être ce qui a poussé la SNCF à moderniser son infrastructure et à tripoter ses aiguillages. Instantanément et grâce à une dose d’efficacité et de compétence concentrées, le dimanche 2 décembre fut une catastrophe complète.
Comme pour la précédente panne de juillet dernier qui avait touché un poste de commande d’aiguillage de Vanves, le trafic a été très fortement perturbé sur une bonne partie du réseau ferré français, même si, à en croire les explications plutôt vagues de la direction de la SNCF, l’incident de ce début décembre n’a rien à voir avec un défaut d’isolation sur l’installation électrique : cette fois-ci, c’est un « bug informatique » et pas un petit souci électrique, le « bug informatique » étant de nos jours à la panne matérielle ou à l’erreur humaine traditionnelle ce que le mistigri est au jeu de carte ou la poisse au casino, sorte de concept fourre-tout terriblement commode pour camoufler des dérives peu reluisantes.
Bug ou pas, le résultat est le même puisqu’il s’est soldé par des dizaines de milliers de voyageurs restant à quai, les bras ballants et les mains pleines de coûteux tickets devenus inutiles.
À la suite de cette pagaille mémorable, certains (voyageurs ou non) se sont immédiatement interrogés sur la capacité de la société nationale à faire face à ses responsabilités, à apprendre de ses (trop nombreuses) erreurs, à corriger les problèmes connus et (défi !) à proposer des solutions alternatives viables et rapides aux problèmes inconnus qui pouvaient survenir.
L’interrogation est si forte que, pour bien faire comprendre aux Français que tout ceci ne peut pas rester sans réponse, Elisabeth Borne, apparemment ministre des Transports en ce moment, a haussé le ton pour convoquer le patron de la SNCF Réseau, Patrick Jeantet. Dans le monde merveilleux de l’État tout puissant, il suffit en effet de convoquer le type à la tête d’une société d’État pour qu’immédiatement, des actes fermes soient posés, des solutions trouvées, des corrections apportées, et pouf, des trains roulent comme il faut.
Apparemment, le consensus actuel s’établit sur la nécessité de réorganiser la façon dont sont gérés les grands travaux de la SNCF, vieille dame incontinente qui perd des fonds, des trains et des parts de marchés de tous les côtés. Evidemment, lorsqu’on lit en détail le froufroutant nuage de mesures qui sont prises à la suite de l’incident, on se doute bien que la situation ne va finalement pas changer du tout au tout instantanément : on va continuer ce qui a été mis en oeuvre à la suite de la précédente panne de juillet (mais mieux) et on va surtout faire plein d’audits (miam, avec de vrais morceaux de commissions dedans !).
En somme, si la qualité se dégrade, c’est essentiellement parce qu’il faut tout refaire et qu’on va devoir souffrir le temps de la transition depuis l’état actuel, déplorable, à l’état futur (peut-être moins déplorable ?). Vu ainsi, pas de doute, la SNCF va nous apprendre à maîtriser le réflexe glutéal et le restockage massif de vaseline en flux tendu.
Certes, à la décharge de la société ferroviaire, les travaux entrepris visent à améliorer une situation devenue dangereuse tant l’infrastructure part en quenouilles un peu partout, et qu’il fallait donc s’attendre à ce que, parfois, ces travaux impactent négativement la bonne marche de la circulation des trains.
Le hic reste malheureusement que cette bonne marche est très hypothétique.
En effet, si l’on peut charitablement mettre la précédente panne de juillet sur le compte du Pas De Bol qui, lentement, devient une véritable devise nationale, il sera en revanche bien plus compliqué de conserver sa bienveillance quand on commence à éplucher l’enfilade de problèmes que le réseau ferré connait avec une régularité plus solide que ses trains.
Ainsi, si l’on se penche sur les performances globales de la SNCF sur le réseau ferré français, il ne faut pas beaucoup de recherches pour retrouver facilement les traces passées de problèmes, soucis et autres enquiquinements qui parsèment la vie des usagers de province.
La région parisienne concentre les réseaux, les passagers et, bien évidemment, les tracas. Sur ces dernières semaines, c’est une avalanche que même la panne de dimanche dernier ne parvient pas à camoufler.
Notons des pannes régulières sur le RER A, sur le RER B, sur le RER B et le RER D (combo), dans différents métros avec une répétition et une constance qui permet aux moteurs de recherche sur internet d’associer rapidement SNCF avec panne et RATP avec grève.
On m’objectera à raison que j’entretiens ici une confusion entre la RATP et la SNCF. Ce serait oublier de noter que si, effectivement, les infrastructures et les entreprises sont différentes, la vétusté du matériel, les pratiques commerciales alternatives, le mépris millimétré de l’usager (usagé ?) et la culture de la grève inopinée sont étrangement similaires dans les deux entités…
Coïncidence ?
Est-ce une coïncidence que ces deux entreprises soient toutes deux publiques, toutes deux sous perfusions d’argent gratuit des autres, toutes deux un réservoir à syndicalistes indéboulonnables en même temps qu’une sinécure pour hauts fonctionnaires ? Est-ce une coïncidence que ces deux entreprises, confrontées à des soucis matériels, soient compactement infoutues de la moindre communication vers les clients, qu’elles continuent, dans les deux cas, à appeler usagers ? Est-ce une coïncidence que ces deux sociétés, en situation monopolistique, ne semblent faire aucun réel effort pour aligner enfin leurs coûts de structures avec leurs tarifs, tentent d’apurer leurs dettes qui sont – coïncidence – dans les deux cas abyssales ?
Coïncidence encore lorsque ces deux entreprises, directement impliquées dans les travaux pharaoniques (LGV pour la SNCF, Grand Paris pour la RATP) se retrouvent à patauger dans les problèmes (financiers, politiques, structurels) ?
Coïncidence que tout cela ? Je ne crois pas. Cela a plutôt l’air d’un symptôme, celui d’une gestion calamiteuse et de l’abandon de toute politique ferme visant à nettoyer ces écuries d’Augias où une petite quantité d’incompétents bloquent les réformes, les adaptations et la prise de conscience radicale qu’il faut absolument en finir avec ces mastodontes coûteux.
Et oui, j’ai bien écrit « en finir ».
La privatisation intégrale de ces entités et de leurs infrastructures, qui sont en réalité complètement en faillite, est absolument nécessaire pour qu’enfin les réalités économiques y pénètrent, que les usagers redeviennent des clients, que la notion de service réapparaisse, que les fautes soient réellement sanctionnées et les succès enfin à l’horizon.
Et non, ce n’est pas impossible.
D’autres pays l’ont fait, massivement, et ont obtenu des résultats tangibles qui donnent une idée exacte de ce qu’il est possible de faire (et à quel point la situation française est devenue honteuse).
De tout cela, il n’est évidemment pas du tout question dans les mesurettes proposées par cette Elisabeth Borne qui serait ministre des Transports. On va donc continuer d’un côté à bricoler et arranger comme on peut des entreprises qui s’enfoncent dans un magma de dettes et de problèmes, et de l’autre à financer les lubies pharaoniques des uns et les avantages sociaux invraisemblables des autres, et tout continuera comme avant.
Résignons-nous. De toute façon, il n’y a pas encore mort d’homme, hein.
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