The Shining Traduction : Joan Bernard
En matière de maisons hantées, les références de Stephen King sont impressionnantes : "Maison Hantée" de Shirley Jackson ; "La Maison d'A-côté" d'Ann Rivers Siddons et "Dis-moi qui tu hantes" de James Herbert. On connaît aussi sa volonté de façonner à son échelle les mythes de l'épouvante. Avec "Shining", on n'est pas déçu.
A la classique maison hantée, King substitue un palace cinq étoiles, le légendaire Overlook Hotel qui, perdu dans les montagnes du Colorado et souvent livré au blizzard, n'ouvre qu'au printemps et en été pour accueillir célébrités et grosses fortunes. Dès sa création, diverses histoires ont couru sur l'Overlook mais à partir du moment où le richissime Horace Derwent (personnage visiblement inspiré de Howard Hughes) le racheta, dans les années trente, il est passé à la vitesse supérieure.
Tout cela, Jack Torrance, le nouveau gardien de l'hôtel pendant la saison morte, va l'apprendre en partie dans un mystérieux album relié en cuir blanc, abandonné dans la chaufferie où son travail l'amène régulièrement. Pour le reste, il mène sa petite enquête personnelle dans les archives du journal local de la petite ville de Boulder, lorsqu'il y descend pour faire d'ultimes provisions avec sa femme, Wendy, et son fils, Danny.
Par nature, Jack est curieux - écriture oblige. Pour l'instant, à peine sorti d'un alcoolisme qui a miné sa vie sociale et grandement menacé sa vie familiale, il travaille sur une pièce de théâtre qu'il désigne simplement sous le nom de "la Pièce." Mais l'idée d'écrire un livre sur l'Overlook vient peu à peu parasiter sa volonté, réelle, de travailler.
C'est que, des parasites, il y en a un nombre impressionnant, à l'Overlook. Enfant medium que son "compagnon imaginaire", Tony, a déjà mis en garde contre l'hôtel, Dany s'en est rendu compte dès l'instant où il est entré dans la première chambre, à la suite d'Ullman, le gérant qui, conformément à l'usage, faisait visiter les lieux à la famille Torrance avant de les abandonner à leur solitude pour tout l'hiver. Taches de cervelle sur le mur, taches de sang, cadavres depuis longtemps emportés qui encombrent encore les tapis, etc, etc ...
Le gore est pourtant peu présent dans "Shining." King n'y a mis que le nécessaire, se sentant probablement incapable de ne pas s'attarder aux horreurs de la chambre 217.
Mais la puissance du livre, c'est dans l'exposition des caractères, la complexité du triangle père-mère-fils, la trame serrée de l'intrigue et enfin dans la maestria avec laquelle King taille, recoud et renouvelle des thèmes aussi vieux que l'espèce humaine, qu'elle réside. Bien plus dangereux que les spectres entrevus dans les chambres, l'ascenseur, etc ..., un malaise, glauque, épais, étouffant, rampe vers le malheureux lecteur avec des sournoiseries dignes de l'énigmatique extincteur placé dans le couloir de la chambre hantée. On ne saura jamais si Horace Derwent était le mal incarné pas plus qu'on ne saura quelles cérémonies il a pu ordonnancer à l'Overlook - en admettant qu'il l'ait fait. On ne saura pas non plus ce qu'il se passe ou s'est passé sur le terrain de roque, avec les animaux de buis et la maison de poupées réplique exacte de l'Overlook. Il y aura en fait beaucoup de choses qu'on ne saura pas mais c'est bien ça qui fait la grandeur du livre. En ce sens, Stephen King s'est élevé aussi haut que Shirley Jackson - et n'est-ce pas le meilleur compliment qu'on puisse lui faire sur son "Shining" ? ;o)