On savait que des personnes bien intentionnées ont attaqué les livres de Tintin car ils véhiculaient des thèmes coloniaux et que certains personnages de cette bande dessinée tenaient des propos condescendants envers la race noire. C’est vrai que lorsqu’il lit « Tintin au Congo », le lecteur contemporain sent tout le décalage qui existe entre notre époque et celle où Hergé a écrit ce livre. Le constater et en prendre conscience est peut-être plus important que de faire interdire la vente du livre.
Mais nous sommes dans une société où il est de bon ton de tout contester. On a vu ainsi que le personnage du père fouettard, qui accompagne traditionnellement le bon Saint Nicolas, a été vivement critiqué aux Pays-Bas. Faire tenir le rôle du domestique subalterne à un Noir a paru choquant et en faire un méchant qui punit les enfants (et les effraie par la couleur de sa peau) en a ému plus d’un. Certes, tout ce que disent ces braves gens est cohérent et ils n’ont pas tort, mais ne risque-t-on pas, en les écoutant, de bannir de notre culture les éléments traditionnels qui en font la base ? Car on ne s’arrête plus. Après avoir contesté l’existence même du père fouettard, on a retiré la croix de la mitre de Saint Nicolas, qui était pourtant évêque de Myre (ville antique de Lycie, au sud-ouest de l'Anatolie, sur le fleuve Myros) entre 250 et 270. Certains y ont vu la main du mouvement de la laïcité, d’autres ont imaginé qu’il s’agissait là d’une sorte de complaisance à l’égard du monde musulman. Dans tous les cas, les esprits ont commencé à s’échauffer, de la gauche laïque à l’extrême-droite raciste. Ceci dit, cela semble devenir une habitude de supprimer les croix partout où elles se trouvent. On se souvient de la publicité récente d’une chaîne de grande surface qui avait effacé les croix sur les dômes des églises grecques pour mieux vendre du yoghourt ou du fromage. Là encore il s’agissait de ne pas heurter le client potentiel, qu’il soit indifférent à la religion ou au contraire musulman irascible.
Moi qui ne suis pas croyant du tout (et c’est un euphémisme), je regrette pourtant cette manière sournoise de venir effacer des symboles culturels traditionnels. Saint Nicolas est la fête des enfants et à ce titre fait partie de notre patrimoine depuis des siècles. Pour la petite histoire, au dixième siècle une relique du saint (une phalange) a été transférée depuis Bari vers le Duché de Lorraine. Une basilique a ensuite été dédiée au saint, qui très rapidement est devenu le saint-patron de la Lorraine. La région étant un centre commercial avec les grandes foires qui y étaient organisées, le culte de Saint-Nicolas se répandit très rapidement, notamment en Belgique et en Allemagne. Voilà pourquoi cette fête est toujours célébrée aujourd’hui dans ces régions. Alors je trouve regrettable de commencer à édulcorer l’image traditionnelle pour la faire correspondre à une vision contemporaine neutre et insipide.
Où s’arrêtera-t-on ? Après Tintin et Saint Nicolas, c’est maintenant au conte de la Belle au bois dormant d’être la cible de féministes intransigeantes. On se souvient de cette histoire : la belle princesse est victime d’un sortilège et s’endort pour l’éternité jusqu’au moment où un prince vient la sortir de sa torpeur en lui donnant un baiser. J’avais toujours trouvé tout cela merveilleux et poétique. Un bel hommage à l’amour en quelque sorte. Mais non, on voit maintenant dans le geste salvateur du prince un comportement machiste dominateur. Embrasser une femme de force, sans son consentement ! Scandale ! Et on demande à l’école de ne plus donner à lire un tel livre de contes, qui risquerait de pervertir la jeunesse ou en tout cas les petits garçons, lesquels en effet, en lisant de telles histoires pernicieuses, risqueraient bien de devenir des violeurs potentiels à l’âge adulte.