Photo : Georges Biard
Après Jean d'O, Johnny H. Les chroniques nécrologiques se suivent et ne se ressemblent pas. Encore que... Dans les deux cas, un monument s'effondre et le tsunami médiatique déferle. Les morts du petit matin perturbent les programmations en radio, voire en télé, les journaux papier regrettent de n'être pas Le Monde qui, d'ici à tout à l'heure, a bien le temps de concevoir un bel ensemble sur le chanteur que le quotidien du soir a essayé, un jour, de faire passer pour un quasi intellectuel. Rassurez-vous, il n'y a pas eu grand monde pour le croire. Johnny Hallyday, c'est dans quelle rubrique? People? Musique? Santé? Mon premier souvenir remonte aux discussions passionnées avec des gamins de mon âge sur les vertus comparées du Pénitencier et de The House of the Rising Sun, que nous écoutions, en 1964, dans la version d'Eric Burdon. Celui-ci sortait largement vainqueur de nos joutes verbales, pour autant que je m'en souvienne et que je ne superpose pas mon avis à tous les autres... Johnny Hallyday a fait quelques apparitions dans des chroniques culturelles que je donne à un quotidien d'Antananarivo, Les Nouvelles. Souvenirs, souvenirs...Johnny Hallyday et les Vieilles Canailles (2014) 2008, 2009, 2010 : les années où Johnny Hallyday, l’inoxydable idole des jeunes, a surtout occupé la presse people, à la rubrique médicale, et pendant lesquelles les journalistes préparaient sa nécrologie. Deux séquences de coma artificiel suite à une opération qui avait mal tourné, on pensait bien que l’homme était au bout du rouleau. Et voilà que la renaissance s’opère, avec un disque que les spécialistes considèrent comme son meilleur depuis très longtemps, et sur scène avec des potes qui ne sont pas les premiers venus, après une tournée nord-américaine. Du 5 au 10 novembre, ils étaient donc en concert à Bercy (Paris), les vieux chanteurs de variété plus ou moins rock’n’roll attitude. Un triple album de compilation, sorte de « best of » Jacques Dutronc, Johnny Hallyday & Eddy Mitchell, à raison d’un disque chacun, était sorti peu avant, un enregistrement a été réalisé et sortira plus tard dans un DVD du spectacle. C’est le son de celui-ci que nous avons écouté. Avec le sentiment de s’introduire subrepticement au milieu d’une bande de potes qui partagent leur humour parfois vaseux, leur décontraction totale et, surtout, leur musique. Sept titres de Jacques Dutronc, autant de Johnny Hallyday, un de moins pour Eddy Mitchell et… « Vieille Canaille », de Serge Gainsbourg, figure emblématique en apparence assez loin d’eux mais correspondant à leurs heures de gloire – qui, pour les trois artistes sur scène, ne sont toujours pas derrière eux ! Eddy Mitchell dans la grande tradition du rock et du country américain, Johnny Halliday dans celle de l’énergie à revendre, Jacques Dutronc dans l’humour de ses textes, l’alliance des genres n’allait pas de soi. Ils sont enrobés, parfois presque noyés, par un orchestre de style big band qui nivèle les différentes compositions pour en faire ce que le producteur de l’événement désirait obtenir : un grand moment de fusion pour tous les publics, un peu comme le journal Tintin était destiné aux lecteurs de 7 à 77 ans… Personne ne nous fera croire que les intérêts financiers des uns et des autres étaient absents de cette belle réunion. Mais peu importe : le résultat est à la hauteur de ce qu’on pouvait espérer, une suite de tubes revisités par ceux qui les avaient interprétés – sauf pour la chanson de Gainbourg en guise d’hommage. Mérité. Et puis, il y a ce Rester vivant où Johnny se retrouve seul. Pas vraiment seul, pour être honnête : l’album est produit par Don Was, qui a travaillé avec les Rolling Stones et Bob Dylan ; et des musiciens en grand nombre entourent le chanteur. En préservant, cette fois, et contrairement à l’enregistrement des Vieilles Canailles, toute sa présence. Le titre éponyme de l’album donne l’orientation générale : un son très rock, comme au bon vieux temps, comme si les décennies n’avaient pas coulé depuis que la France découvrait Elvis Presley. Les moments d’apaisement frappent d’autant mieux, comme dans « Une lettre à l’enfant que j’étais », suivi en revanche des rythmes très marqués de « J’t’ai même pas dit merci ». Contraste dans l’unité générale, avec quelques trémolos – qu’on aime ou qu’on déteste, c’est selon le degré de l’admiration portée au chanteur. Un « Chanteur de chansons », il n’est que cela, dit-il sur la dernière plage.
Mais alors, pourquoi tant de journalistes lui demandent-ils, à cet « envoyeur de sons », son avis sur tout et n’importe quoi ? Et pourquoi répond-il parfois, cet « éveilleur de sensations premières » ? C’est là un des grands mystères de la médiatisation à outrance, celle qui transformait Nabilla en chroniqueuse avant qu’elle tourne plus mal. Johnny, reste ce que tu es, c’est très bien ainsi ! Johnny Hallyday, monstre sacré (2015) De l’amour est, accrochez-vous, le cinquantième album studio de Johnny Hallyday, souvent annoncé comme physiquement abîmé et qui ne cesse de recommencer à tourner dans les salles les plus célèbres et dans les plus grands stades. Increvable, Jean-Philippe Smet ? Il en donne l’impression quand il fournit, comme c’est le cas ici, un disque de bonne facture. Ses fans se désoleront, certes, de n’y compter que onze plages, mais ils auront le plaisir de retrouver Johnny à son meilleur, sur des musiques composées par Yodelice et avec des paroles d’origines variées : Christophe Miossec, Vincent Delerm, Pierre-Dominique Burgaud, Jeanne Cherhal, Pierre Jouishomme et Aurélie Saada. L’inspiration est elle aussi variée, c’est peut-être le principal reproche qu’on pourrait faire à un album qui, dans l’ensemble, tient solidement la route. Il y est question d’amour ou de questions sociales actuelles, de l’espoir et du désespoir, de ceux qui permettent de s’accrocher à eux et de sortir la tête de l’eau… Musicalement, cela balance entre le rock pur et la ballade plus tranquille, les changements de rythme entre deux plages n’étant pas, bien entendu, un défaut. On croise à nouveau un Johnny impliqué dans le monde présent, et non seulement détaché pour planer sur les nuages rose tendre ou noirs de l’amour. « Valise ou cercueil » parle d’émigrés contraints de payer un passeur pour fuir l’horreur. « Un dimanche de janvier » revient sur la communion de toute une population rassemblée sur les boulevards pour marcher en silence après les attentats qui avaient frappé Paris au début de l’année. L’ironie involontaire est cruelle : De l’amour a été mis en vente le 13 novembre, deuxième date écrite en lettres de sang après celle du 7 janvier. D’où le malaise laissé par question qui clôt, répétée un grand nombre de fois, la chanson : « Que reste-t-il de ce dimanche de janvier ? » « L’amour me fusille », tout en puissance retenue, pourrait bien devenir une chanson qui marque pendant quelques années, davantage que, sur le même thème, « De l’amour » qui est d’abord sorti en single en octobre, six jours après l’annonce de l’album – annonce faite sur scène, lors d’un concert. A moins que la composition plus basique (mais efficace) de « Des raisons d’espérer », par Johnny lui-même, soit assez convaincante pour les auditeurs désireux de tempo bien carré, celui qui vient du blues…Jimi Hendrix et Johnny Hallyday, l’improbable rencontre (2016)
En 2011, sur le disque Jamais seul, Johnny Hallyday dédiait une chanson, « Guitar Hero », à son « ami » Jimi Hendrix. En 2013, aggravant son cas, on verra pourquoi, il racontait à Amanda Sthers, pour le livre qu’ils cosignaient, Dans mes yeux, leur belle aventure commune (à Jimi Hendrix et lui, Amanda Sthers n’a rien à voir là-dedans). Voici la version de Johnny : Hendrix sort son premier disque, Hey Joe, et propose à son ami Johnny de l’enregistrer en français. (Faites un effort : réécoutez les deux versions à la suite, pour voir.) Conclusion rapide de ce deal inattendu : « La semaine suivante, nous étions numéro un ensemble, lui en Angleterre et moi en France. » La belle amitié ne durera pas, l’histoire est liquidée quelques lignes plus loin. Au passage, précisons quand même que Hey Joe n’a jamais été n°1 au hit-parade (oui, oui, on disait ainsi) britannique, mais n°6 (selon Wikipédia, certes, qui n’a pas toujours raison mais, dans ce domaine, probablement plus souvent que Johnny). Et aussi que la version de Jimi Hendrix est sortie le 2 novembre 1966 tandis que celle de Johnny Hallyday a vu les bacs en mars 1967. On est assez loin de ce qui est raconté. Néanmoins, les deux artistes sont bien montés sur quelques scènes communes, au moins une – les biographes pataugent un peu, et on les comprend quand on a lu le tissu d’approximations que Johnny Hallyday transforme en sources. Ils se sont rencontrés en septembre 1966 à Londres et Jimi Hendrix a été engagé pour assurer quelques premières parties de la tournée française du chanteur français. Trois chansons avant le passage de l’idole des jeunes, pas de quoi se sentir une vedette, mais quand même. Pour, semble-t-il (on l’avance avec une certaine prudence), quatre dates : Evreux, le 13 octobre, Nancy le 14, un autre lieu que nous n’avons pas retrouvé et l’Olympia le 18. Peu de photos les montrent ensemble, celle que nous avons dénichée est de qualité médiocre, sauvée par sa valeur de document rare. Et le cinéaste Claude Goretta les montre, dans un petit film, faisant des ronds de fumée à la même table de restaurant, à Nancy. S’il existe des fans de l’un et de l’autre chanteurs (le plus souvent, c’est l’un ou l’autre), ils pourraient regretter que cette brève rencontre n’ait pas débouché sur une collaboration plus poussée. Il n’est pas nécessaire de réfléchir longtemps pour comprendre que c’était de toute manière impossible : tout, en réalité, les séparait. Et la mort de Jimi Hendrix en 1970 devait, de toute manière, faire oublier cette hypothèse.