Lu sur le site du Monde, un article de Martine Jacot et Anne Pélouas.
Une dizaine d'entreprises québécoises sont devenues des géants mondiaux dans leur secteur. Parmi elles, Bombardier spécialisée dans l'industrie ferroviaire et l'aéronautique, SNC-Lavalin dans l'ingénierie, le mouvement Desjardins, première institution financière québécoise et le Cirque du Soleil qui, en un quart de siècle, s'est forgé un succès international.
BOMBARDIER
Garagiste et bricoleur autodidacte, Joseph-Armand Bombardier a eu le temps de voir décoller son "autoneige" inventée en 1937 à Valcourt (sud-est de Montréal) puis sa motoneige, mise au point en 1958, six ans avant sa mort. Il serait cependant surpris de voir ce qu'est devenue sa petite entreprise : un géant du transport implanté jusqu'en Chine, avec 60 000 employés.
Bombardier est devenu le premier fabricant mondial de trains de passagers, métros et tramways, un marché pénétré en 1974. Douze ans plus tard, il est entré de plein pied dans le secteur aéronautique en rachetant Canadair et ses technologies éprouvées d'avions amphibies (pour la lutte contre les feux de forêts) et d'avions d'affaires (Challenger).
D'acquisition en acquisition (Shorts en Irlande du Nord, Learjet aux Etats-Unis, De Havilland en Ontario), le groupe se spécialise dans les avions de transport régional et les jets d'affaires, un marché lucratif qui lui permet de se hisser au troisième rang mondial des avionneurs civils.
Après ces années de croissance rapide, Bombardier subit de plein fouet, au début des années 2000, la hausse du dollar canadien et la crise du transport aérien qui suit les attentats de 2001 aux Etats-Unis. Fermetures d'usines ferroviaires en Europe, licenciements massifs dans l'aéronautique, vente de la division de produits récréatifs... Il lui faudra passer par une phase de rationalisation drastique pour que l'embellie revienne.
Son carnet de commandes n'a jamais été aussi rempli en 2007, dans l'aéronautique et dans le secteur ferroviaire (tramway de Marseille, voitures du métro de Chicago, remplacement d'automotrices du transilien avec Alsthom, trains régionaux en Suède et aux Pays-Bas, etc.).
Son chiffre d'affaires, en progression de 18 %, a atteint 11,3 milliards d'euros, dont 96 % réalisés à l'exportation, et son bénéfice net a presque triplé au premier trimestre 2008. Laurent Beaudoin, qui a cédé début juin son poste de président à son fils Pierre, a promis que la décision de produire une nouvelle gamme d'avions régionaux de 110 à 130 places serait prise avant la fin de l'année.
LE MOUVEMENT DESJARDINS
Première institution financière du Québec, le Mouvement des caisses Desjardins se porte bien : 136 "caisses", 40 000 employés, 5,8 millions de "membres", 6 800 dirigeants élus... Fait rarissime dans le milieu bancaire, il vient d'élire une femme, Monique Leroux, à sa tête. Elle aura 144 milliards de dollars canadiens (91 milliards d'euros) d'actifs à gérer, près de deux fois plus qu'en 2000.
L'histoire de cette banque, sixième institution financière canadienne et première coopérative, est indissociable de celle du Québec moderne. La première caisse a vu le jour en 1900 à Lévis, face à la ville de Québec, créée par un ancien journaliste pour prêter aux "petites gens" desquels les banques se détournaient. Avec l'appui du clergé catholique, le réseau étend sa toile sur tout le territoire de la province. En 1944, il y comptait déjà 877 caisses coopératives.
Leur fédération s'est positionnée très tôt dans le domaine des assurances (biens et personnes) et dans le placement, tout en s'engageant fortement dans le développement économique local et dans la coopération avec les pays pauvres. Avec l'objectif de rester fidèle à la philosophie de son fondateur, Alphonse Desjardins : "Contribuer au mieux-être des individus et des collectivités".
Le Mouvement Desjardins poursuit actuellement sa progression dans le reste du Canada et entend nouer à l'étranger des partenariats avec d'autres grands groupes financiers coopératifs.
SNC-LAVALIN
A la faveur d'un mariage réussi en 1991 entre deux concurrents québécois (le groupe Lavalin, dirigé par les frères Lamarre, et le cabinet d'ingénieurs-conseils SNC), le nouveau groupe, implanté dans une trentaine de pays, est devenu l'un des dix plus importants du monde dans l'ingénierie et la construction, avec un effectif de 18 000 employés, un chiffre d'affaires de 1,07 milliard d'euros et un solide carnet de commandes (6,7 milliards d'euros). Aujourd'hui dirigé par Jacques Lamarre, il a fait l'acquisition de près d'une vingtaine d'entreprises d'ingénierie en 2007 (au Brésil, en France, en Inde, en Espagne et aux Etats-Unis).
Dans le secteur de l'énergie, il est notamment passé maître dans la conception de grands ouvrages hydroélectriques. Il travaille en Afrique avec Rio Tinto, en Libye pour un projet de pipeline, au Brésil pour des usines de ferronickel et vient de se voir confier la conception d'un système d'irrigation au sud de Caracas (Venezuela) ainsi que l'ingénierie d'une usine de dessalement d'eau de mer en Algérie.
SNC-Lavalin Europe, premier actionnaire de l'aéroport de Vatry (Marne), développe une trentaine de projets en France, dont, en association avec Alstom, le futur tramway de Reims et la maîtrise d'oeuvre de la construction d'hôpitaux (Meaux, Sainte-Menehould).
LE CIRQUE DU SOLEIL
Guy Laliberté doit quelque chose à Jacques Cartier. Avec quelques autres bateleurs, il a créé son Cirque du Soleil en 1984 à l'occasion des festivités du 450e anniversaire de l'arrivée du navigateur malouin au Canada. Une généreuse subvention du gouvernement québécois de René Lévesque leur a permis de monter un premier spectacle.
Depuis, près de 80 millions de spectateurs ont fréquenté son cirque pas ordinaire, sans aucun animal, qui théâtralise les arts du cirque et de la rue à la manière d'une comédie musicale. Cette année, dix-huit de ses spectacles sont présentés simultanément à travers le monde, soit en tournée, soit dans des salles de spectacles conçues expressément pour lui : le cirque a notamment pignon sur rue à Las Vegas, Orlando, New York et Tokyo. Il s'installera en 2010 à Dubaï et à Los Angeles.
Grosse machine qui emploie 4 000 personnes, dont un quart d'artistes, le Cirque du Soleil entend rester "un grand laboratoire de création". Presque tout, de la conception des spectacles à la formation des artistes en passant par la production de costumes flamboyants, se fait à son siège situé dans un quartier défavorisé du nord de Montréal. L'entreprise consacre un pour cent de ses revenus au financement de programmes sociaux, au Québec ou à l'étranger. Guy Laliberté vient de lancer une fondation baptisée One Drop, dont le but est de favoriser l'accès à l'eau potable dans les pays en voie de développement.
Les TIC, fer de lance de l'économie montréalaise
Jeux vidéo, art cinétique, photonique, sans fil... Dans l'univers en plein essor des technologies de l'information et des communications (TIC), Montréal est devenu l'un de ses principaux "centres d'excellence" en Amérique du Nord. La Cité du multimédia a servi de catalyseur : le gouvernement québécois a offert, dès 1998 et pour douze ans, de généreuses subventions. Elles ont pris la forme d'aides fiscales représentant 40 à 60 % des salaires versés !
Le pôle montréalais des TIC emploie aujourd'hui près de 130 000 personnes dans 5 000 entreprises, dont 200 filiales de sociétés étrangères. De petits studios de création voisinent avec de grandes sociétés, tels Ericsson, BCE, IBM, CAE, Rogers, Ubisoft, Electronic Arts ou Discreet Logic.
Deuxième éditeur mondial de jeux vidéo, le français Ubisoft a été l'un des premiers à choisir Montréal comme plaque tournante de ses activités mondiales. Il a annoncé l'an passé sa troisième expansion en sol québécois, avec 290 millions d'euros d'investissements.