" Tu as volé mon enfant, versé le sang de mon sang. Aucun Dieu ne m'apaisera. J'aurai ta peau. Tu périras. ".
Le meurtrier d'un petit enfant de 7 ans vient de mourir ce dimanche 3 décembre 2017 à l'hôpital de Lille à l'âge de 64 ans (né le 31 mars 1953 à Troyes). Il avait un cancer et comme toute disparition d'une vie humaine, c'est regrettable. Néanmoins, il n'a jamais estimé nécessaire d'exprimer ses regrets ni de demander pardon pour cet acte insupportable, celui de retirer à ses parents et à son jeune frère la vie de ce malheureux garçon.
Cet assassin, Patrick Henry, avait des préoccupations de brigand : il a enlevé le garçon de 7 ans le 30 janvier 1976 à 12 heures 30 à la sortie de son école à Troyes pour demander une rançon à ses parents. Le jour du transfert de la rançon, le 10 février 1976, il fut pris en chasse par la police qui l'a perdu de vue, mais qui a réussi à l'arrêter le lendemain. Toutefois, aucune charge n'ayant été retenue contre lui, il fut relâché le 13 février 1976, mais fut de nouveau arrêté le soir du 17 février 1976 dans une chambre d'hôtel où le corps sans vie du garçon fut retrouvé.
Au début du journal télévisé du 18 février 1976 à 20 heures sur TF1, le présentateur Roger Gicquel déclara cette phrase très célèbre : " Bonsoir. La France a peur. ".
Phrase qu'il a aussitôt complétée par ceci : " Je crois qu'on peut le dire aussi nettement. La France connaît la panique depuis qu'hier soir, une vingtaine de minutes après la fin de ce journal, on lui a appris cette horreur. Un enfant est mort. Un doux enfant au regard profond, assassiné, étranglé ou étouffé (...) par le monstre qui l'avait enlevé pour de l'argent. La France a peur. Chaque mère, chaque père a la gorge nouée quand il pense à ce qui s'est passé à Troyes, quand il pense à cet assassin de 23 ans, une relation des parents du petit Philippe, un petit commerçant bien mis qui a fait croire jusqu'au bout aux parents que l'enfant était vivant. Un jeune homme apparemment sans passion qui ne peut pas être autre chose qu'une sorte de malade mental, mais qui a pourtant tenu tête avec une froide lucidité aux policiers qui l'ont interrogé pendant quarante-huit heures quand il était le témoin numéro un de l'affaire. Oui, la France a peur et nous avons peur, et c'est un sentiment qu'il faut déjà que nous combattions, je crois. Parce qu'on voit bien qu'il débouche sur des envies folles de justice expéditive, de vengeance immédiate et directe. Et comme c'est difficile de ne pas céder à cette tentation quand on imagine la mort atroce de cet enfant ! C'est d'ailleurs probablement pour soustraire l'assassin à la colère des habitants de Troyes qu'on l'a mis dans en prison dans une autre ville, à Chaumont. La France a peur parce que les rapts d'enfants se sont multipliés d'une manière épouvantable. Il y en a eu sept pour la seule année 1975, mais c'est la première fois, depuis 1964, qu'un rapt se termine aussi tragiquement. Cette année-là, Lucien Léger étrangla le petit Luc (...). Oui, la France a peur parce que comme il y a douze ans, elle ne comprend pas, exactement comme les parents accablés de Patrick Henry, l'assassin de Philippe. " (18 février 1976).
En quelques phrases, le journaliste avait résumé un sentiment vieux comme le monde et qui perdure encore de nos jours, parce qu'il est très commun. Le chanteur Michel Sardou l'avait même mis en chanson, ce sentiment, avec ses propres mots, parfois violents et très contestables, et il a eu un succès commercial très important (son disque dans lequel figurait cette chanson a dépassé le million d'exemplaires vendus en 1976) : " Tu as tué l'enfant d'un amour, je veux ta mort, je suis pour ! ". Et de chanter : " Tu as volé mon enfant, versé le sang de mon sang. Aucun Dieu ne m'apaisera. J'aurai ta peau. Tu périras, tu m'as retiré du cœur et la pitié et la peur. Tu n'as plus besoin d'avocat. J'aurai ta peau. Tu périras. ".
On imagine le climat populaire chauffé à blanc lors du procès de Patrick Henry, qui fut défendu notamment par Robert Badinter, déjà très connu pour son combat contre la peine de mort. Car à cette époque, la peine de mort était encore possible. Le procès fut un véritable débat sociétal pour ou contre la peine de mort, comme la France sait si bien en avoir (elle venait de sortir du débat sur l'avortement et c'était bien avant le débat sur le mariage homosexuel).
L'époque n'était pas éloignée de la nôtre dans le grand sentiment d'insécurité, tant par des assassins d'enfants que des actes terroristes (à l'époque, les terroristes n'étaient pas islamistes et étaient souvent soutenus par le bloc communiste, guerre froide obligeait).
Patrick Henry était d'autant plus impopulaire que sa culpabilité ne faisait pas de doute (arrêté dans la chambre où l'on a retrouvé le corps de l'enfant), alors que juste après sa première arrestation, il avait eu le culot de se répandre dans les médias pour allumer un contre-feu en osant dire avec un cynisme qui a estomaqué la France entière a posteriori : " Le véritable criminel mérite la peine de mort pour s'en être pris à un enfant. " (13 février 1976).
Son procès fut très médiatisé et a eu lieu du 18 au 20 janvier 1977 à Troyes. Avocat de la défense, Robert Badinter a fait le procès de la peine de mort, au risque d'oublier l'assassinat commis par son prévenu, en décrivant l'horreur glaciale de l'exécution : " le bruit que fait la lame qui coupe un homme vivant en deux ".
Le 20 janvier 1977, Patrick Henry fut reconnu coupable et condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il échappa de très peu à la peine de mort : sur les douze membres du jury d'assises, il fallait huit voix en faveur de la peine de mort pour la faire adopter. Seulement sept jurés s'étaient prononcés en ce sens. Trois des membres du jury qui ont refusé la peine de mort ont évoqué leur conviction religieuse pour expliquer leur motivation. Les parents eux-mêmes de la victime ne souhaitaient pas un acte de vengeance contre Patrick Henry qui, juste après l'annonce du verdict, lâcha aux jurés cette phrase également fameuse : " Vous n'aurez pas à le regretter ! ".
Ce verdict a scandalisé beaucoup de citoyens qui attendaient la peine de mort. Un lecteur de "France-Soir" a exprimé ainsi sa colère le 27 janvier 1977 : " Assez de jérémiades (...) ! Le verdict est scandaleux. ". Un autre rappela, à propos de Robert Badinter, la tirade d'un personnage (avocat) d'un roman d'Alexandre Dumas fils qui disait : " Un avocat est un grand homme quand il peut se dire : J'avais entre les mains un scélérat qui avait tué son père, sa mère, ses enfants. Eh bien ! J'ai tant de talent que je l'ai fait acquitter et que j'ai rendu à la société cet ornement qui lui manquait. ". Ce même lecteur exprima aussi sa colère : " J'ai éprouvé un sentiment de honte (...). Ainsi, ce monstre va pouvoir continuer à suivre par correspondance ses cours d'anglais et d'allemand pour devenir (...) un bon professeur à sa sortie de prison, dans dix ou quinze ans. ".
Un autre : " J'ai même peur. S'il est un crime contre lequel la peine de mort se doit d'exister, c'est bien celui qui consiste à tuer un enfant après demande de rançon... (...) Désormais, en France, on ne pourra plus jamais condamner à mort car on ne verra jamais pire. Dans vingt ans, Henry pourra recommencer. ". Une mère de famille a exprimé elle aussi sa colère : " J'ai le vertige et j'ose espérer qu'un tel jugement de clémence ne se reproduira plus en France en faveur d'un assassin d'enfant. Sinon, nous allons tout droit à une anarchie totale ! On ne s'étonnera pas alors que des parents écrasés de douleur se rebiffent et fassent justice eux-mêmes. Personnellement, j'attendrais le temps qu'il faudrait mais, dès sa remise en liberté, je tuerais celui qui aurait tué mon enfant. ". Rappelons d'ailleurs que moins de dix ans plus tard, l'affaire Grégory a montré qu'un parent d'une victime se croyait plus apte qu'un juge d'instruction pour faire justice.
Heureusement, parmi les lecteurs du même journal, la sagesse pouvait coexister : " La justice est chose nécessaire mais qu'elle puisse au moins s'exercer dans la liberté et avec sagesse, sans avoir à subir la violente pression des passions déchaînées de la foule. Et qu'une fois rendu son verdict, celui-ci sot respecté ! ".
Toujours dans "France-Soir" le 27 janvier 1977, l'avocat qui a "gagné" ce procès, Robert Badinter, a analysé le verdict ainsi : " L'accusation a demandé aux jurés de condamner à mort Patrick Henry. Les jurés, en réponse, ont condamné (...) la peine de mort ce jour-là. Est-ce à dire que cette condamnation est définitive et marque l'abolition de fait de la peine de mort en France ? Nul ne peut l'affirmer. ". Dans les faits, deux autres prévenus furent condamnés à mort et exécutés en France, après le procès de Patrick Henry.
Robert Badinter a ajouté également : " Une décision comme celle-là, qui engage la conscience de chacun des juges, ne se prend pas sans les plus fortes raisons, sans un grand débat intérieur. Or, de ce débat, la peine de mort est sortie vaincue. ".
Pendant plus d'une vingtaine d'années de prison, ses (sept) demandes de liberté furent systématiquement refusées. Il profita de son temps libre pour faire des études et obtenir le baccalauréat, un DUT en informatique et une licence de mathématiques. La politique judiciaire du gouvernement socialiste de Lionel Jospin a accru le "laxisme" par la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 défendue par Élisabeth Guigou, la Ministre de la Justice de l'époque. Cette modification du code de procédure pénale a notamment rendu possible l'appel des verdicts des cours d'assises (auparavant, seule la cour de cassation pouvait modifier ces verdicts) et a créé le juge des libertés et de la détention.
Ce fut grâce à cette nouvelle loi que le tribunal régional de Basse-Normandie a accordé à Patrick Henry, le 26 avril 2001 à Caen, sa mise en liberté conditionnelle. Sa libération a eu lieu le 15 mai 2001, après vingt-cinq ans de réclusion, et il a commencé à travailler dans une imprimerie du Calvados.
En fait, cette libération conditionnelle fut un échec. Au-delà d'un vol dans un magasin en juin 2002, l'assassin d'enfant fut arrêté en Espagne sur la route le 6 octobre 2002 avec, dans ses bagages, une dizaine de kilogrammes de haschich provenant du Maroc. Il fut extradé le 16 avril 2003 et de nouveau en prison (et également condamné pour ce délit le 22 juillet 2003). Ses demandes ultérieures de libération conditionnelle furent refusées jusqu'à très récemment.
Interrogé par Jérôme Dupuis, Patrick Henry déclara à "L'Express" le 6 février 2003 : " Depuis mon procès, j'ai l'impression d'être un phénomène de foire. On m'a présenté comme le symbole de la lutte pour l'abolition de la peine de mort. Pourtant, après mon procès, alors que j'étais incarcéré, il y a eu plusieurs condamnations à mort et même deux exécutions. On n'en parle pas. Plus tard, j'étais censé incarner le problème de la réinsertion, après vingt-cinq ans passés en détention. On a voulu faire de moi un surhomme, alors qu'en fait, je ne suis qu'un pauvre type. (...) Je suis prêt à rendre des comptes à la justice, mais pas à être récupéré par le débat politique. ".
Finalement, Patrick Henry, atteint d'un cancer, a vu sa peine suspendue le 15 septembre 2017 pour aller se faire soigner à Lille. Il n'a survécu que deux mois et demi.
L'exemple de Patrick Henry était presque caricatural : coupable sans aucun doute, froidement responsable et culotté, sans aucun regret ni remords, sans même une parole d'apaisement pour les parents de sa petite victime, il était le candidat idéal à la peine capitale. D'autant plus que son comportement pendant sa courte incursion en liberté conditionnelle montra qu'il n'était pas capable de réinsertion et que seule, la vénalité a guidé ses choix (comme celui de prendre en otage le garçon) : son premier réflexe, une fois sorti de prison en 2001 et 2002, fut de chercher un éditeur pour publier son témoignage et gagner de l'argent sur sa propre histoire (cela avait bien marché pour le Japonais mangeur d'étudiante étrangère).
Pour autant, les jurés ont-il eu raison d'avoir sauvé la tête de Patrick Henry ? Fermement opposé à la peine de mort et très heureux qu'elle n'existe plus ni en France, ni en Europe, ni même dans de très nombreux autres pays du monde, à l'exception notable de certains grands pays qui comptent aujourd'hui économiquement (comme les États-Unis, le Japon et la Chine), je persiste à penser que ce jury d'assises a eu raison et n'a pas à le regretter car la tête coupée de Patrick Henry n'aurait fait qu'ajouter la mort à la mort. Jamais elle n'aurait rendu à la vie le petit Philippe.
Savoir résister à la pression de la rue, à "l'opinion publique", au sentiment majoritaire, aux sondages, à l'émotion immédiate face à un drame abominable, c'est le devoir de la justice qui doit être rendue au nom de la société et sans esprit de vengeance. C'est difficile, mais c'est possible. Cela devrait être aussi le choix des responsables politiques en général.
Et si la mort de l'assassin, aujourd'hui, quarante et un ans après son horrible meurtre, ne doit lui apporter aucune reconnaissance, aucune compassion ni aucune justification, elle est au moins l'occasion de saluer la grande acuité du journaliste Roger Gicquel qui, tout en exprimant la grande émotion, sa grande émotion, pour un assassinat d'enfant, a mis en garde contre tout sentiment malsain de vengeance et de rancœur : " Oui, la France a peur et nous avons peur, et c'est un sentiment qu'il faut déjà que nous combattions, je crois. Parce qu'on voit bien qu'il débouche sur des envies folles de justice expéditive, de vengeance immédiate et directe. Et comme c'est difficile de ne pas céder à cette tentation quand on imagine la mort atroce de cet enfant ! ".
Je doute qu'il soit le modèle du journalisme d'aujourd'hui où, au contraire, dans une course vénale à l'audience, au moindre fait-divers, l'émotion est mise en exergue et repasse en boucle jusqu'à la nausée...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (03 décembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L'affaire Patrick Henry.
L'affaire Grégory.
L'affaire Robert Boulin.
L'affaire Florence Rey.
L'affaire Aldo Moro.
Le cauchemar de Serge Atlaoui.
Les exécutions à répétition, version Daech.
Les exécutions à répétition, version Hitler.
Les exécution à répétition, version Mao.
Les exécutions à répétition, version Lénine, Trotski et Staline.
Les exécutions à répétition, version Saint-Just.
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Les exécutions à répétition, version Duvalier.
L'exécution de Mata Hari.
L'exécution de l'archidupe Maximilien.
L'exécution de Saddam Hussein.
Mary Jane Veloso.
Quatorze exécutions pour le 29 juillet 2016 ?
Un nouveau sursis pour Serge Atlaoui (13 juillet 2016).
La Turquie d'Erdogan.
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Pierre Bas, le député de l'abolition de la peine de mort.
François Mitterrand, pas si abolitionniste que sa réputation...
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L'insoutenable légèreté de son avenir.
Les droits de l'Homme.
Vers un moratoire en Indonésie ?
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Le rejet du dernier recours de Serge Atlaoui.
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Encore la peine de mort.
Chaque vie humaine compte.
Rapport d'Amnesty International "Condamnation à mort et exécutions en 2014" (à télécharger).
Il n'y a pas d'effet dissuasif de la peine de mort (rapport à télécharger).
Peshawar, rajouter de l'horreur à l'horreur.
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Pourquoi parler des Maldives ?
Maldives : la peine de mort pour les enfants de 7 ans.
Pour ou contre la peine de mort ?
La peine de mort selon François Mitterrand.
La peine de mort selon Barack Obama.
La peine de mort selon Kim III.
La peine de mort selon Ali le Chimique.
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Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.
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Nouveau monde.
Le 11 septembre 2001.
Chaos vs complot.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171203-patrick-henry.html