Pour lire le cahier de l'Herne consacré à Pierre Michon, il faut d'abord le dompter. Physiquement s'entend. C'est-à-dire qu'il faut déjà ouvrir l'ouvrage grand format, en papier et caractères particuliers, qui lui donnent son caractère si charnel. Sans avoir peur de le casser, même si cela peut arriver, comme c'est le cas pour mon exemplaire, car le dos est suffisamment encollé pour empêcher les pages de s'évader.
Ensuite il faut caresser les pages, les écarter un peu partout, en se familiarisant au passage avec les titres et auteurs des contributions. Il faut insister de la paume sur le milieu, caresser en appuyant de manière à forcer gentiment l'ouverture, car le bestiau est retors. Il est réfractaire à l'ouverture et à la lecture, et tend sans cesse à se refermer. Alors il faut se montrer plus tendre tout en restant aussi ferme en même temps. Une opération à répéter plusieurs fois par jour, s'il le faut.
C'est ainsi qu'à force de caresses, le cahier commence à dévoiler ses textes. Et là, c'est le bonheur, c'est l'écriture elle-même qui se livre. C'est là qu'on commence à saisir la méthode, unique et universelle, de Michon. On comprend pourquoi son écriture est si enivrante, si vertigineuse et si contagieuse. Pourquoi elle nous plaît tant à nous autres qui l'aimons.
Car c'est de cela qu'il s'agit. Plaire en jouant avec les mots, les phrases et le lecteur, comme un chat cruel joue avec une souris quand il la laisse filer et la rattrape. Comme un couple d'amants amoureux à mort joue à celui qui tuera l'autre, de joie... mais de souffrance aussi.
Sans son lecteur avec lequel il s'adonne à ce jeu, Michon ne serait qu'un micheton. Sa force, son art, sa haute performance, c'est qu'il joue à merveille. Il a d'ailleurs le formidable bon goût, dans tous les textes et entretiens inédits du cahier, de nous dire comment il fait. D'où viennent les pouvoirs ensorcelants de ses Vies minuscules, sa Grande Beune, son Rimbaud le fils etc...
Il s'agit là d'une consécration plus importante encore que celle de l'entrée dans La Pléiade. Le jour où "Pierrot" se glissera sous la couverture de cuir, dorée à la feuille, sera celui de l'érection d'un des plus importants mausolées de la littérature.
PS : à Didier Jacob qui lui demandait : "Qu'est ce qui rend la phrase parfaite ?", Pierre Michon a répondu :
"Son aloi. L'aloi, chez les anciens, chez Villon par exemple, c'est le bruit que fait une pièce en tombant sur le comptoir. On entend de quel alliage elle est faite. On entend si c'est une bonne pièce ou une mauvaise. Il y a un aloi pour la littérature. Je l'entends. Tout de suite. Si la phrase est écrite, elle est versée à mon compte sur l'éternité".
PS : Pourquoi le collage "La nuit étoilée à l'auberge Ravoux" ? Simple concomitance et Pierre Michon aurait parfaitement pu y séjourner si je l'avais collé un autre jour.