Nos journées se déploient entre 5h22 du matin et parfois 20h30 le même soir.
Ce qui est ahurissant, voire inhumain, est que nous roulons toute cette période, et livrons, réparons, pour les villes qui nous envoient leur listes d'adresses sans réellement faire autre chose. On mange dans le camion en roulant. On ne va pas à la salle de bain de la journée. On se débrouille. On survit.
Ce jour-là, ça commençait bien mal. J'avais envie de pisser dès le départ. Vers 6h00 du matin. C'était un jeudi. Nos jeudis sont ces journées qui commencent trop tôt et finissent trop tard, roulant trop loin. J'ai un collègue qui pisse sur la roue de son camion en faisant semblant de regarder quelque chose dans le coffre de son pickup. J'ai vu d'autres boys, qui font le même genre de travail que nous, faire la même chose en les croisant, ce qui était encore plus ridicule. Le gars a vraiment pris son rôle au sérieux et feignant de regarder dans la "boîte" de son pickup, quand je suis passé derrière lui avec mon camion. Je me suis retenu pour ne pas baisser ma vitre et hurler "PÉNIS!". Si mon camion n'était pas lettré, je l'aurais fait. Le gars s'est probablement pissé dessus car il a mis ses deux mains dans la boîte du pickup, gardant son pickle en direction de la roue du camion sans l'apport de ses mains.
Personnellement, je peine à pisser en public. Je n'y arrive tout simplement pas. Il me faut une envie du tonnerre pour le faire. Et un endroit certain.
Ce que je croyais avoir ce matin là. Un croissant au bout d'une rue. Une nouvelle rue. Avec un boisé au bout du croissant. Et pas de maison sur 75% du bout du croissant. J'ai donc fait ma livraison à l'adresse de cette maison du bout du croissant, et me suis rendu pour pisser, direction boisé.
Un boisé automnal. Donc dégarni de ses feuilles. Quelqu'un dans le bois aurait facilement pu voir mon bambou en train de pointer. Un bel oiseau rouge me zieutait d'ailleurs. Calmement. Me jugeant. Après quelques secondes d'absolu soulagement, mes yeux ont fait comme on fait parfois quand on regarde quelque chose sans le voir et j'ai remarqué que ce boisé était assez peu boisé, et que tout juste derrière, il y avait une piste de jogging, à à peine 10 pieds de distance.
...et un groupe de joggeurs qui s'amenait.
J'ai donc réenligné ma position en me tournant à 45 degrés sur la droite. Pissant toujours. Me retrouvant soudainement face à une route, qui, bien que dans les cantons prétendument déserts de Ste-Martine, offrait pas une mais bien trois voitures roulant si lentement que l'idée que chaque conducteur prenait le temps de mettre son téléphone en mode appareil photo visant ma flèche qui visait vers eux dans une pluie dorée m'est passée par la tête...
...je vous parle bien d'urine? et bien, je suis fatigué...
J'ai donc vite tourné un autre 45 degrés, pissant maintenant vers la rue. Où bien entendu, ça ne pouvait pas vraiment bien se passer. Demandez aux 2 jeunes dames qui poussaient leur bébé et qui ont vivement fait demi-tour.
Je tournais sur moi-même en ne cessant jamais de pisser. J'avais un robinet sans fin. Je faisais flèche de... pas assez de bois.
J'étais le pis de Manneken de Bruxelles.
Pisser en public, ça m'apprendra. Ça ne pouvait pas se dérouler sainement.
En retournant dans le camion, j'avais tant pisté autour de moi, bizoune au vent, que j'ai attiré deux chats, une moufette et Éric Salvail.
Je ne sais pas si les jeunes dames a relevé les lettres sur mon camion. Peut-être auraient-elles porté plainte?
J'ai cru peut-être bientôt être de la bande à Matt Lauer, Charlie Rose, Eric Salvail et Louis CK et qu'on m'arrête pour inconduite.
Mon willy a eu une certaine visibilité.
Mais non.
Une des deux jeune dame est revenue vers moi et m'a demandé mes coordonnées.
Ma merguez a marqué.
Étrange journée...