Dans la plupart des Nativités, Joseph ne fait pas grand chose : il s’agenouille devant l’Enfant Jésus ou bien, fatigué, il se repose sur son bâton.
On examine ici une iconographie bien plus rare : celui des Nativités dans lesquelles, d’une manière ou d’une autre, Joseph s’occupe du feu. [1]
Eclairer
L’iconographie de loin la plus fréquente est celle où Joseph tient précautionneusement une bougie allumée, symbole compréhensible par tous de la petite vie qu’il est chargé de protéger.
De manière plus savante, ce motif tire son origine de la Vision de Sainte Brigitte de Suède (1372), selon laquelle, au moment de la Nativité « le rayonnement divin… annihila totalement la lumière naturelle » . Pour une oeuvre dans lequel le thème des trois lumières (surnaturelle, humaine, naturelle est particulièrement développé, voir Fils de Vierge et Pierres de Feu.
Nativité (détail), Campin, Dijon, Musée des Beaux Arts
Faire chauffer la soupe
Joseph est celui qui s’occupe des subsistances : il porte une gourde, fait chauffer à ses pieds une marmite dans un brasero circulaire, et n’a pas oublié de nourrir l’âne et le boeuf : il leur a bricolé, juste à côté, une mangeoire elle-aussi circulaire.
Ici, le Père nourricier est entièrement concentré sur sa cuisine.
Une sage-femme baigne l’enfant près du feu, tandis qu’un Ange aux ailes bleues tire le rideau pour révéler la scène aux bergers. Au fond, Joseph apporte un bol de soupe à Marie, provenant visiblement de la marmite.
L’attitude affligée de Joseph, assis la main sur la joue, relève de l’iconographie, démodée en Occident, du Doute de Joseph (voir le mystère du Doute de Joseph). Les Frères de Limbourg l’ont ici accommodée au goût du jour, en rajoutant une marmite tripode et un feu de bois, lequel répond terrestrement au feu céleste de l’Etoile.
Même iconographie du Doute de Joseph amélioré par la soupe. Mais l’artiste n’a pas pensé à mettre en balance le foyer et l’Etoile.
Dans cet aménagement plus confortable, Joseph a suspendu sa soupière, par une crémaillère, à une poutre posée entre les deux étables. A voir la porteuse de seaux juste derrière, on comprend qu’il ne s’agit pas ici de cuisiner, mais de faire chauffer l’eau pour baigner l’Enfant. Le paysage de neige, à l’arrière-plan, met en valeur la chaleur du foyer que le bon Joseph s’époumone à entretenir.
Sainte Famille, Xylographie, Bohème ou Moravie, vers 1410
La Vierge donne à boire à l’enfant, tandis que Joseph nourricier prépare le souper.
Adoration des Mages, vers 1420, Hessisches Landesmuseum, Darmstadt
Même l’arrivée des Rois Mages ne trouble pas ses activités culinaires.
Il est enfin temps de servir la soupe, tandis qu’au dessus de Joseph un ange apporte un lange propre.
Ici se sont des anges qui s’occupent de l’intendance : l’un attise les flammes avec un soufflet, l’autre ramène de l’eau. A l’arrière-plan, un troisième présente un lange propre et un quatrième retape le coussin. Joseph n’a rien à faire qu’entretenir son doute, contemplant Marie d’un air soupçonneux.
Dans cette lettrine comique, nulle élévation spirituelle : Joseph est un vieillard gourmand qui mange sa soupe en se chauffant les pieds.
Se chauffer
Car lorsqu’il s’agit seulement d’illustrer la vieillesse de Joseph, le plus simple est de le montrer, sa canne entre les jambes, se chauffant égoïstement en tournant le dos à Marie.
Ici le brasero profite à toute la Sainte Famille.
Faire sécher le lange
Tandis que Marie se repose, laissant la sage-femme coucher l’enfant Jésus emmailloté, Joseph fait sécher au dessus du brasero un linge blanc : on comprend qu’il s’agit du lange mouillé. Ainsi le vieillard se chauffant au feu perd son côté égoïste, et prend à nos yeux des allures de père moderne : à l’époque, on devait voir dans cette tâche moins l’Humidité que l’Humilité.
Deux sages-femmes préparent le bain de l’Enfant, tandis que Joseph fait chauffer la serviette (ou sécher le lange) qui l’enveloppera. Le thème trop prosaïque des deux sages-femmes (voir 4.1 Une cuisante expérience (Campin) ) était alors en perte de vitesse en Occident, supplanté par la nouvelle notion d’accouchement instantané qu’avait propulsé la vision de Sainte Brigitte. L’invention à ce moment précis de l’image de Joseph prenant la main sur la gestion des serviettes semble une tentative d’iconographie alternative, qui n’allait pas se développer très loin.
Même composition, une seule sage-femme qui présente le lange propre et Joseph qui fait sécher le lange mouillé. Une plaque mobile à trois degrés (semblable à celle que l’on voit dans la Nativité du Livre d’heures a l’usage de Rome) protège des flammes le lit de Marie.
En plus de faire sécher le lange posé sur le tabouret, le brasero réchauffe les pieds du bon Joseph.
Exit définitivement las sage-femmes, puisqu’il n reste plus qu’un seul lange. Le thème sert de prétexte à comparer, sur la verticale centrale, le rayonnement issu du Père Céleste, les flammes allumées par le Père Terrestre et, entre les deux, leur Fils à la fois divin et humain, dont le corps nu est enveloppé de lumière.
Sur le volet privilégié du triptyque (à droite de Jésus et de la Vierge), Bosch représente, derrière Saint Pierre et le donateur, Joseph, identifié par sa hâche, assis sur un panier à linge en train de faire sécher ce que nous reconnaissons maintenant comme le lange de l’Enfant Jésus. Loin d’être une figure grotesque, le Père Terrestre occupe sa place à la fois humble et obstinée,abritant son foyer sous un appentis de fortune, en dessous d’une cheminée en ruine.
Les deux couples qui dansent dans le pré au son de la cornemuse [2], derrière la cheminée éteinte, rappellent les plaisirs auxquels il a renoncé.