Mimi en orbite à Bastille
C’est devenu une habitude chez les metteurs en scène d’opéra d’exploser les livrets au point de ne pas respecter le déroulé (le monde change) ou d’en tirer des prolongements dignes d’un nouveau romancier (la chose n’est pas neuve). Ainsi de Tcherniakov le metteur en scène russe (qualifié inévitablement de « sulfureux », « audacieux », « iconoclaste » et autres qualificatifs adhésifs de journaleux déboussolés face à la nouveauté) qui a transformé le Carmen de Bizet en jeu de rôle façon The Game. Ou encore de Claus Guth, fieffé subversif en chef qui pas plus tard qu’hier faisait tenir encore Rigoletto dans un paquet Chronopost…
On en a vu ainsi des anachronismes patentés, des nazis au moyen-âge (Mathis le peintre), des Anna Wintour dans les jupes de Platée (Carsen) ou des Héliogabale au pays des paillettes de cabaret etc.
De niveau inégal, réussis parfois, sans nécessité souvent.
Mais on était peu enclin tout de même à sortir des rails d’un scénario en principe sanctuarisé comme avec Claus Guth quand il s’empare de l’œuvre de Puccini. La Bohème qui raconte l’histoire d’un petit groupe d’artistes fauchés dans le Paris du 19ème se voit transposé dans l’espace infini celui qui en principe effraie. L’alibi narratif est faiblard et les raccords pathétiques du type « je me souviens des temps anciens ».
Le néo-librettiste Guth dit avoir puisé dans l’œuvre de Murger, l’auteur d’origine, ce goût des réminiscences et des flash back rétrospectifs. Mais rien ne prédisposait à un éloignement de la galaxie.
Notre équipe d’astronautes est d’ailleurs en train de crever par manque d’oxygène et on s’interroge sur la référence cinématographique (est-ce 2001 l’Odyssée de l’espace, la Planète des Singes, ou Solaris ?). A certaines répliques, le public remue la queue en silence mais bon … Notre pauvre Mimi, l’héroïne tubarde et les doubles (une des spécialités de Claus Guth apparemment) arpentent les salles d’un vaisseau spatial ou au deuxième acte le sol lunaire comme Tintin et Tournesol. Le café Momus lui est changé en rêve hybride de décorateur : un mélange de brasserie parisienne et une procession d’enfants noirs menés par un magicien maître de cérémonie formé à l’école du mime Marceau. Le plus drôle en fin de compte c’est que l’émotion de la Bohème persiste en dépit de ces variations ornementales d’un scénario particulièrement tiré par les cheveux.
Sans doute parce l’œuvre est magnifiquement dirigée par le chef Gustavo Dudamel.
Que la distribution, jeune, éclatante et subtile (en particulier le ténor brésilien Attala Ayan, les cantatrices Sonia Yoncheva , Aïda Garifullina(récemment reine des neiges fondante) ou l’australienne Nicole Car) fait tourner à plein régime la partition et que tout cela ne tient que par la musique et que cette Bohème-là pourrait se dérouler à l’époque préhistorique ou dans un bordel afghan post-taliban que cela n’y changerait rien…Oui prima la musica ! Prima la musica !