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Démission du cemat : l’honneur d’un général…

Par Francois155

Le sage nous a prévenus : « le malheur aime la compagnie ». Ce que le brave citoyen, englué dans les vicissitudes de la vie quotidienne, traduit à sa manière par « les merdes volent en escadrille ». Comprenez : quand une tuile vous tombe sur le crâne, attendez-vous à voir suivre le reste de la toiture…

L’institution militaire en générale, et l’Armée de Terre en particulier, sont en plein dans cette cruelle loi des séries qui veut que les ennuis s’enchaînent à répétition. La démission, proposée et promptement acceptée par l’exécutif, du général d’armée Bruno Cuche, chef d’État-major de l’Armée de Terre, est le dernier épisode en date de cette série noire.

Mais reprenons les choses au début.

Au commencement, arrive au pouvoir un nouveau président qui s’y connaît en affaires militaires et stratégiques comme votre serviteur en physique théorique : les hommes, les concepts, les doctrines, les traditions, les matériels, la vision globale, tout l’indiffère avec ostentation. Problème : là où l’auteur de ces lignes a rarement l’occasion de plancher sur la physique théorique dans ses tribulations habituelles, la chose militaire et la réflexion stratégique sont au cœur du métier que le président a voulu exercer avec un bel acharnement. D’où une série d’incompréhensions, de non-dits, de maladresses et de mésententes mutuelles de plus en plus palpables. Un chef avisé prendrait le temps d’apprendre, s’entourerait de collaborateurs compétents autant qu’influents ; bref, jouerait patte de velours en attendant de correctement maitriser le sujet. Le nouvel édile n’a pas ces pudeurs, car il se pique d’une ligne de conduite politique, à la fois nébuleuse et volontariste (un dangereux mélange…), qui porte un nom magique quoiqu’un peu effrayant : « la rupture », dans les affaires militaires comme dans les autres. Comme les porteurs d’uniforme sont gens disciplinés, par éducation et obligation légale, et que le bon peuple est largement indifférent à leur sort, le président voit en eux une cible toute trouvée pour des réformes qui ont le gout amer d’une cure d’austérité menée à la cravache.

Arrive le Livre Blanc, document indispensable pour tout président voulant rompre incessamment avec les pratiques obsolètes de ses prédécesseurs et qui, car il y avait consensus sur ce point, était une bonne idée à la base (le dernier datant de 1994). Le produit fini, plutôt indigeste sur la forme, mais contenant quelques bonnes orientations sur le fond, ne suscite pas l’enthousiasme délirant des troupes. Accueilli poliment, mais sans plus, il provoque néanmoins chez certains quelques inquiétudes. Cette timidité face à la grande œuvre présidentielle en matière de défense pouvait, à l’extrême rigueur, être pardonnée. Après tout, le bon peuple, dans son immense majorité, se bat l’œil de toutes ces histoires de miloufs, trop occupé à courir après un pouvoir d’achat qui s’évapore à grande vitesse (et dont l’accroissement devait pourtant être l’axiome de la nouvelle administration, mais c’est une autre histoire). Hélas, un quarteron de galonnés, pensant que le devoir de réserve n’implique pas l’obligation de se taire lorsque les intérêts fondamentaux de l’Institution sont en jeu, ose publier, en signant d’un pseudo évocateur, un texte critique à la une d’un grand quotidien national. Crime impardonnable et qui, semble-t-il aujourd’hui, ne sera pas pardonné…

Aussi sec, le président fait donner son ministre de la Défense, un sympathique éleveur de chevaux qui se pique de politique, mais dont on perçoit mal, à première vue, les aptitudes pour le poste. Ah si, il a trahi froidement son meilleur ami pendant l’élection à la magistrature suprême, une attitude glorieuse qui, à l’évidence, le qualifie automatiquement pour devenir le représentant des Armées de la France. L’homme a la charge de mener la contre-offensive et d’étouffer la dissidence. Cette manœuvre fulgurante sera menée en trois temps : on commence par fustiger les traîtres, coupables d’avoir enfreint le sacro-saint devoir de réserve auquel sont astreints tous les militaires. L’initiative est hardie, en effet : à ce rythme-là, il conviendra prochainement de fermer toutes les publications doctrinales qui ne sont pas exactement dans la ligne officielle. Voilà qui promet un avenir radieux à nos praticiens-penseurs, désormais sommés de ne pondre que des articles glorifiant la politique, forcément miraculeuse, des décideurs, fussent-ils gravement et notoirement incompétents. Autant dire que la recherche stratégique française, l’une des plus admirées et inspirantes du monde, risque d’en prendre un sacré coup…

Concomitamment, car le devoir de réserve est à géométrie variable, on traque d’aussi éminents représentants de l’institution pour leur faire écrire un texte réfutant l’argumentation des Surcouf. Par pudeur, sans doute, personne ne se propose… On déniche alors un politicien multicarte, accessoirement médecin militaire dans la réserve (ce qui, soit dit en passant, est tout à son honneur et mérite le plus grand respect), et on l’envoie annoncer sur les ondes que, bien loin des propos subversifs des Surcouf, le Livre Blanc est accueilli dans les casernes comme un nouvel Évangile dont la lecture assidue tire des larmes de joie à tous. Étrangement, ses dithyrambes rencontrent peu d’échos voire même, les gens sont méchants, suscitent des ricanements ironiques. Peut-être parce que le professeur se contente d’asséner des certitudes invérifiables sans, bizarrement, s’attarder sur le fond des critiques émises à l’endroit du précieux document. Cette fois-ci, c’en est trop !

Alors, on fait donner l’artillerie lourde : les félons anonymes sont désormais pourchassés par les redoutables agents de la DPSD. Pathétique et ridicule manifestation de la mégalomanie, du sectarisme de certains, les contradicteurs sont dénoncés comme des traîtres, du gibier de potence ! Car enfin, qu’on soit d’accord ou non avec eux, les rédacteurs du document incriminé n’ont fait qu’exprimer tout haut ce qui se murmure tout bas, et pas seulement dans l’enceinte feutrée des casernes… Quant à la commode invocation du devoir de réserve, l’accusation s’effondre d’elle-même à partir du moment où, de son côté, on enjoint tel militaire bien en cour de s’exprimer lui aussi, mais dans un sens favorable à la « réforme » cette fois-ci. Juste une question, au passage : la DPSD a-t-elle été saisie également du cas de ce réserviste trop bavard ? Ou l’ignominie n’est-elle que dans le camp des mal pensants ? Naïvement, on pensait que les limiers de l’ex-Sécurité Militaire avait plus utile à faire que de traquer des collègues qui n’ont pas le bon goût de partager les insuffisances stratégiques de la tête de l’État.

Hélas, à la comédie grandiloquente de ces misérables démonstrations d’autorité, la tragédie vient aujourd’hui assombrir ce qui n’aurait pu rester qu’un médiocre épisode de plus pour une administration qui les collectionne. Et là, on ne rit plus, mais alors plus du tout…

Un très grave incident vient en effet endeuiller une démonstration ouverte au public. Comme il en a l’habitude à chaque fois qu’un événement dramatique suscite l’intérêt des médias, le président se précipite sur les lieux. Le général Bruno Cuche est présent à son arrivée, en tant que plus haut représentant de l’Armée de Terre. Le croisant, le chef de l’État pointe vers lui un doigt vengeur et lui assène un terrible : « Vous êtes des amateurs ! Vous n’êtes pas des professionnels ! ». Il faut dire qu’il parle d’or en ces matières… Pour le CEMAT, l’insulte du Chef des Armées a peut-être valut atteinte irréparable à son honneur : dans la nuit, il rédige sa lettre de démission qui est acceptée ce matin. La dernière fois qu’un homme de son rang avait démissionné, c’était en 1983 : Jean Delaunay entendait protester contre la baisse des crédits militaires…

Alors, il ne s’agit pas de porter un jugement sur l’attitude du président de la République : j’en pense ce que j’en pense, mais nous ne sommes pas ici sur un blog politiquement engagé dans un sens ou un autre. En tant que républicain, que patriote, je respecte la fonction avant de respecter l’homme. Si les deux en sont autant dignes, c’est tant mieux. Dans le cas contraire, il faut bien faire avec. Et puis la République est bonne fille en nous permettant, à intervalles réguliers, de changer librement de gouvernants…

Mais le geste du général Cuche mérite d’être salué comme il convient : c’est celui d’un homme d’honneur, d’un digne représentant de la France, d’un soldat qui porte haut les valeurs et les engagements de l’Armée française. En tant que civil, je ne le connaissais qu’à travers ses écrits et ses faits d’armes. Les premiers m’ont influencé plus que je ne saurais le dire. Quant aux seconds, ils inspirent le respect à tous les citoyens qui savent encore ce que servir a de noble et de transcendant.

Le général Cuche est titulaire des décorations suivantes, qui ne doivent pas être confondues avec les hochets de complaisance qu’on distribue par brassées dans les ministères aux journalistes, artistes et autres courtisans du moment :

Grand Officier de la Légion d’honneur.

Chevalier de l’Ordre national du mérite.

Croix de guerre des TOE avec palme.

Croix du combattant.

Titre de reconnaissance de la Nation.

Médaille commémorative française.

Médaille de l'OTAN pour l'Ex-Yougoslavie.

Médaille de l'OTAN pour le Kosovo.

Médaille Danoise du mérite pour services internationaux.


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