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Par Julien Leray @Hallu_Cine

D’aucuns le qualifient de prolifique, d’autres de tout simplement fou. Reste que si de constante il devait y avoir au sein de la filmographie pléthorique (cent films en vingt-cinq ans) de Takashi Miike, ce serait sans aucun doute la variété des genres auxquels il entend se frotter. Après son adaptation de Jojo’s Bizarre Adventure passablement ratée plus tôt dans l’année, le voilà débarquer à nouveau dans les salles obscures avec un second long-métrage, présenté lui hors compétition à Cannes : Blade of the Immortal, adapté du manga culte au Japon de Hiroaki Samura, L’Habitant de l’Infini.

Voir Miike s’attaquer à nouveau au chanbara, c’était au moins l’assurance d’assister à nombre de combats sanglants, ces affrontements grandiloquents que le cinéaste japonais affectionne tout particulièrement. De ce point de vue, difficile de se montrer déçu, tant Miike franchit un cap supplémentaire dans le gore et l’outrancier (et ce dès l’introduction donnant immédiatement le ton), même après ses Audition et autres Ichi the Killer déjà bien chargés en hémoglobine. Une violence oscillant entre un premier degré inconfortable (le meurtre de la famille de – notamment), et un second presque cartoonesque, Miike ne faisant pas l’économie d’un sens de l’absurde et du ridicule aux antipodes des canons du genre. Blade of the Immortal ressemblerait en cela à un lointain cousin un brin dégénéré de 13 Assassins, davantage qu’à un héritier de The Assassin et de son approche contemplative.

Comme souvent chez Miike, les corps occupent une place prépondérante dans la mise en scène et le récit. À l’instar de son segment des Masters of Horror, La Maison des sévices, les chairs dans Blade of the Immortal prennent (très) cher, Miike ne reculant devant rien pour nous faire souffrir en même temps que ses personnages. La douleur, physique, viscérale, bien que très exagérée, rend l’expérience parfois difficile à supporter. Lorsque Manji, un samouraï vagabond, est blessé, on voit les « vers de sang » qu’une sorcière lui a injectés panser ses plaies, colmater ses blessures, donnant lieu à des séquences graphiques peu ragoûtantes. Son immortalité, outre le fardeau qu’elle représente, se paie donc elle aussi par les chairs et par le sang.

Pleinement investi dans l’entreprise (on sent que, contrairement à Jojo’s, Miike a ici pris son temps), la rage palpable à chaque instant, sa démesure s’exprime sans réelles contraintes. Seules ses propres limites en tant que cinéaste empêchent finalement Blade of the Immortal de dépasser le stade du film-concept. Aussi cathartique qu’il puisse être (l’expression de la violence dans ce contexte étant davantage un exutoire qu’une approche racoleuse), le film, une fois purgée de ses excès et de ses sévices sanguinolents, souffre ainsi d’un classicisme de fond, d’un air de déjà-vu dont on peine à faire totalement abstraction. La soif de vengeance, doublée de la question de l’immortalité – « qu’est-ce qu’être vivant ? » -, restent des thématiques usitées du folklore japonais, recyclées à maintes reprises (Highlander de Russell Mulcahy n’étant qu’un exemple parmi bien d’autres), dont Miike semble davantage se servir comme prétexte qu’en faire une réelle motivation narrative. Blade of the Immortal sidère souvent, oui, mais donne aussi l’impression d’être en premier lieu un très violent moulin à vents.

L’esthétique et la qualité de la photographie, à l’unisson de la dimension sale et volontiers poussiéreuse des cadres et de la production design, ne présentent pas non plus de quoi s’extasier. Le rythme du film et ce sur quoi Miike met l’emphase ne laissent de toutes façons guère le temps de s’y attarder, mais passée une nouvelle fois la démesure grand-guignolesque de l’ensemble, Blade of the Immortal, bien que nettement plus soigné que ses derniers longs, ne possède pas le degré de raffinement (en dehors d’une utilisation du noir et blanc, puis de la couleur, plutôt bien vu) à même d’en faire une pièce majeure de sa filmographie, encore moins du genre. Un constat que l’on retrouve quoi qu’il en soit dans les chorégraphies des combats, âpres et percutants certes, mais rien qui ne sorte là non plus de l’ordinaire.

Quant à savoir si le contrat est rempli, tout dépend de ce que l’on vient chercher dans un métrage de Takashi Miike. Si l’on souhaite renouer avec un chanbara frontal et bourrin pleinement assumé, Blade of the Immortal saura à coup sûr contenter. Si l’on cherche en revanche un film à même d’en mettre plein les mirettes, et dont la force des images et du propos persistera dans la durée, (re)voir The Assassin représentera alors sans nul doute un investissement bien plus sensé.