Un beau palmarès, le Prix Roger Caillois, dans lequel Actualitté relève les noms de Mario Vargas Llosa (2002), Carlos Fuentes (2003), Eduardo Halfon (2015), Édouard Glissant (1991), Roger Grenier (2008) ou Chantal Thomas (2014). On y ajoute maintenant ceux de Rodrigo Fresan pour la littérature latino-américaine, de Jean-François Billeter pour l'essai et surtout (à mes yeux) de Patrick Deville pour la littérature française. Il a publié, à la rentrée, Taba-Taba. En même temps reparaissaient, en un volume, ses cinq premiers romans.
Dans sa préface à Minuit,
titre collectif de la réédition des cinq premiers romans de Patrick Deville
publiés dans la maison d’édition du même nom, Bernard Comment veut éviter ce
qu’il appelle le « travers » de chercher, dans les débuts d’un
écrivain, ce qu’on en lit maintenant. Il y cède néanmoins, et il a raison. Car,
outre le fait que ces fictions joueuses fournissent un plaisir intense, elles
mettent en place quelques éléments d’un système qui ne demandait qu’à se
développer. Et se développe, à travers une suite de douze romans dont Taba-Taba, qui vient de paraître, est le
sixième.
En détournant avec élégance et humour les codes de quelques
genres, romans noirs ou d’espionnage, Patrick Deville installait le doute dans
des mécanismes de précision et, déjà, courait le monde. Sans, cependant,
l’obstination avec il rapporte de toute la planète ses histoires vraies dans l’ensemble
ouvert en 2004 avec Pura Vida, et
dans lequel Peste & Choléra lui a
valu, en 2012, le Prix Femina et un légitime élargissement de son lectorat.
Nourri de souvenirs personnels et d’archives familiales, Taba-Taba est le volume le plus français
du grand cycle en cours de rédaction et de publication. Il est construit autour
d’un axe obsessionnel : l’homme que le romancier, dans son enfance, a vu
souvent se balancer en psalmodiant : « Taba-Taba-Taba
/ Taba-Taba-Taba ». Un fragile point de départ pour connaître
quelqu’un dont on ne sait rien d’autre puisque les archives du Lazaret de
Mindin, en face de Saint-Nazaire, où Taba-Taba – il n’aura d’autre nom que ce
surnom – séjournait, ont disparu. Le lieu, où le narrateur a passé huit ans,
côtoyant sans le savoir des fous qu’il n’appelait pas ainsi, trouve ses
origines dans une mission préparatoire qui avait entamé ses travaux en 1860,
année qui ouvre tous les romans de la série. Et qui ouvre sur des perspectives
immenses où se croisent une foule de personnages et d’événements articulés en
chapitres courts souvent terminés par une pirouette souriante. Ce n’est pas
parce qu’il écrit à présent des « romans sans fiction » que Patrick
Deville a renoncé à l’humour…
La fascination devant le projet et sa réussite plus
éclatante à chaque nouvelle parution ne faiblit pas. Au contraire. Chaque roman
pouvant en outre se lire sans qu’il soit nécessaire de connaître les
précédents, on entre dans ce monde, le nôtre, par n’importe quelle porte. Elle
invite toujours à faire ensuite une visite complète.