Nous allons nous essayer à une première approche d’ensemble du retable de Mérode, dans une approche originale : celle des Quatre Eléments. La composition, avec ses trois scènes simultanées, communicantes ou pas, à la fois en extérieur et en intérieur, constitue un microcosme réaliste que le peintre a pu vouloir ordonner en respectant la théorie en vigueur.
Le panneau central : Eau et Feu
Dans le premier état du retable (réduit au panneau central), il se trouve que les objets qui évoquent l‘Eau (bassin, serviette, vase) se situent dans le quart haut gauche, et ceux qui évoquent le Feu (les deux bougies, la cheminée) dans le quart haut droit.
L’idée de récupérer cette disposition pour la développer avec les deux autres Eléments a pu intervenir au moment de l’adjonction des panneaux latéraux. Et ce, sans rien modifier dans le panneau central.
Du triptyque au « cyclique »
Nous allons tout de suite proposer une solution plus originale et plus dynamique, dans laquelle les domaines représentatifs de chaque Elément ne sont pas des bandes verticales, mais des trapèzes inclinés selon la diagonale des panneaux latéraux. Ceci accentue le continuité spatiale : les deux vues de la ville se raccordent dans l’élément Terre, le triptyque en quelque sorte se boucle sur lui-même, devenant en quelque sorte un « cyclique ». Autre conséquence bienvenue : au centre du retable se libère une étroite bande verticale qui échappe au strict domaine de l’Eau.
Qu’il parcoure le retable de gauche à droite ou de haut en bas, le regard va forcément traverser les cloisons immatérielles qui séparent ces ambiances élémentaires : nous leur avons donné les couleurs traditionnellement attribuées aux Quatre Eléments, et nous avons représenté par des traits gras les deux frontières où ils s’affrontent : Air contre Terre et Feu contre Eau. Les deux autres lignes de séparation sont des transitions harmonieuses où les éléments se marient : Air et Eau, Feu et Terre.
Le positionnement des personnages
Panneau de gauche
Le donateur s’aventure jusqu’à la limite Terre/Air, frontière conflictuelle où il reste bloqué. Lorsque la donatrice et le messager ont été plus tard rajoutés , l’une l’a été en pleine zone Terre, l’autre sur la frontière, comme le donateur.
Panneau central
L’Ange stationne sur sa frontière harmonieuse entre l’Air et l’Eau, tandis que Marie est entièrement englobée côté Eau. Personne n’occupe la frontière conflictuelle entre L’Eau et le Feu. Tout ceci par une qu’une coïncidence heureuse, puisque le panneau central a été conçu avant l’idée du découpage diagonal.
Panneau de droite
Un autre personnage se trouve à cheval sur une limite harmonieuse : Joseph, dont tous les outils et toutes les productions sont en zone Feu, tandis que sa tête enturbannée est en zone Terre.
Au final, les deux femmes se retrouvent dans le domaine symbolique qui leur revient de droit :
- la donatrice en zone Terre ;
- Marie en zone Eau, en hommage à sa pureté.
Les quatre hommes quant à eux sont tous à cheval sur une limite :
- le messager et le donateur sur la frontière infranchissable Terre/Air ,
- l’Ange entre l’Air et L’Eau (entre le ciel dont il vient et Marie à laquelle il s’adresse),
- Joseph entre le Feu et la Terre, ce qui est bien le lieu idéal pour un artisan quelque peu prométhéen.
Le positionnement des ouvertures
Dans le panneau de gauche, le portail entre la ville et le jardin est de plain-pied, en zone Terre. En revanche la porte de la chambre figure un seuil entre Terre et le Ciel, infranchissable autrement que par le regard. Deux éléments d’architecture matérialisent cette même frontière : le fronton en escalier de la bretèche, et les trois degrés qui montent vers la chambre : l’un que peuvent gravir seulement les oiseaux, l’autre seulement l’Ange.
Dans le panneau central, les deux oculus tombent l’un en zone Air (celui par lequel l’Enfant Jésus descend du ciel), l’autre en zone Eau, mais ce ne peut être là encore que par une heureuse coïncidence.
Dans le panneau de droite, la porte se trouve en zone Terre : on entre de plain-pied entre la ville et l’atelier. Joseph ainsi que deux de ses créations, la souricière externe et la chaufferette, se trouvent à cheval sur la limite Feu/Terre, que souligne la diagonale du vilebrequin.
Les fleurs et les animaux
Panneau de gauche
Les fleurs terrestres de la pelouse font pendant au rosier marial qui monte vers le ciel. Le cheval blanc terrestre est équilibré par les oiseaux, habitants de l’Air.
Panneau central
Une analogie visuelle existait déjà entre les deux arcades, celle de la niche, avec ses fleurons de pierre et les gargouilles du bassin, et celle de la cheminée, avec les deux fleurs et les deux griffons des chenets : elle se trouve heureusement intégrée dans le découpage diagonal.
En revanche, le positionnement des chiens et des lions du banc échappe à cette structure, ce qui prouve bien qu’elle n’était pas présente au moment de l’élaboration du panneau central.
Deux objets de synthèse
Dans la bande centrale qui échappe au domaine de l’Eau, deux objets voisinent sur la table : le lys et la bougie.
Du point de vue de la Théorie des Eléments, tous deux peuvent être considérés comme des objets de synthèse qui illustrent, de bas en haut une succession bien précise des Elements, selon le tableau ci-dessous :
L’analogie entre la fleur de lys et le feu est à la fois visuelle (les pétales comme des flammes blanches) et symbolique (les deux ont à voir avec la reproduction).
Cette succession n’est pas la même que celle des bandes diagonales, et fait cette fois apparaître une seule frontière problématique : celle entre l’Eau et le Feu. Gardons en tête que « comment conserver la fleur dans l’eau » et « comment allumer la bougie de la table » pourraient bien être les deux questions fondamentales du panneau central : nous y reviendrons dans 4.5 Annonciation et Incarnation comparées.
Cette approche par les Eléments n’avait pas pour ambition d’expliquer le très complexe symbolisme du retable de Mérode. Tout au plus a-t-elle pu servir de fil conducteur au peintre qui a rajouté les panneaux latéraux, en tant que thème secondaire venant étoffer les thèmes autrement plus ambitieux que nous découvrirons peu à peu ; et l’aider à positionner les personnages nouveaux et les détails animaux et floraux.
A nous, elle a permis, dans un premier balayage, d’appréhender les différents climats symboliques qui scandent la composition.