Autrefois réservé à des applications exclusivement gouvernementales ou scientifique, le secteur de l'opération des satellites s'est depuis transformé pour devenir un véritable marché. Même si ses composantes militaires et scientifiques restent encore conséquentes, une part croissante des investissements du secteur spatial sont en faveur de sa composante commerciale. Depuis l'ère de la communication massive, les satellites commerciaux ne cessent d'emplir l'orbite terrestre et renforcent un marché au chiffre d'affaires évalué à plus de 200 milliards d'euros par an. Pour couvrir les besoins titanesques des entreprises de télécommunication, une nouvelle génération de petits satellites de moins de 10 kg, appelés nanosattelites, prépare une révolution technologique. Selon une étude de SpaceWorks, il faudrait en lancer au moins 2400 d'ici 2023. Si on ajoute à cela les estimations d'Euroconsult pour un besoin de 550 satellites lourds à lancer jusqu'en 2027, on s'aperçoit vite que l'industrie spatiale a le vent en poupe.
La propulsion électrique, qui pour la première fois a pris le pas sur la traditionnelle propulsion chimique à bord de satellites militaires dans les années 2000, est pressentie par certains comme une technologie de rupture pour l'alimentation des systèmes orbitaux nouvelle génération. Surtout depuis l'année 2012, où Boeing avait déferlé la chronique en annonçant avoir reçu pour la première fois des commandes pour des satellites commerciaux électriques. Qu'en est-il réellement ? Découverte de ces engins volants tout électriques et analyse de leurs véritables intérêts.
Le gain de poids comme principal atout
Pour propulser un satellite sur son orbite finale et effectuer des corrections de trajectoire, la norme est de faire appel à un système de propulsion chimique. En nécessitant d'embarquer des substances nécessaires à la réaction chimique comme les ergols liquides, cette technique mobilise une part importante de la capacité d'emport des satellites. Si le choix est fait d'équiper un satellite de propulseur électrique, un fabricant peut gagner jusqu'à dix fois la masse équivalente d'un ensemble de propulsion chimique.
Malgré un intérêt indéniable sur le plan de la masse d'emport, les moteurs à impulsion électriques ne brillent pas pour leurs performances : quand un propulseur chimique peut fournir jusqu'à plusieurs milliers de Newton de poussée, les meilleurs propulseurs électriques ne peuvent générer une poussée supérieure à 200 Newtons. C'est d'ailleurs pour cela que ce système de propulsion est aujourd'hui adapté uniquement aux petits satellites pour l'observation terrestre (circulant donc en orbite basse).
Une faible poussée mais des domaines d'utilisation intéressants
Alors comment des propulseurs de très faible poussée peuvent-ils être utiles à bord des satellites ? Les domaines d'utilisation ne manquent pas. Par exemple, une des principales missions à la portée des propulseurs électriques réside dans les circularisations d'orbite. Cette manœuvre orbitale qui consiste à stabiliser un satellite sur une orbite circulaire à partir d'une orbite elliptique est très couramment utilisée pour les missions géostationnaires. Les opérateurs de satellites affirment par ailleurs que la propulsion électrique pourrait se révéler idéale pour contrer les effets de l'atmosphère résiduelle pour les satellites en orbite basse. La mission franco-israélienne Venµs, dont le lancement s'est tenu en août 2017, permettra de tester l'efficacité des moteurs électriques pour compenser cette trainée résiduelle.
Mais Le principal atout de la propulsion électrique réside surtout dans la durée de vie des satellites qui en sont équipés. Les propulseurs chimiques, limités par la charge d'ergol emportée ne permettent pas aujourd'hui de réaliser des missions supérieures à 15 ans. En équipant un satellite de moteurs électriques rechargés grâce à des panneaux solaires, les durées de vie dépassent aisément les valeurs usuelles. Un atout qui fait de la technologie électrique un moyen de propulsion apprécié par les financeurs de missions orbitales, dont le plan d'affaires se trouve amélioré.
Recherche et avenir du satellite électrique
Les satellites électriques n'ont malheureusement pas que des atouts. Entre un coût d'achat élevé et l'impossibilité de réaliser des manœuvres rapides pour des transferts orbitaux ou des évitements de débris, les engins spatiaux équipés de la technologie n'ont pas que des adeptes. Depuis la fin des années 2010 toutefois, la recherche en faveur des propulseurs électriques s'est accélérée. L'objectif pour les laboratoires de recherche est avant tout de développer un moyen de rendre la production en série de ces moteurs viable. Plus ceux-ci seront miniaturisés et puissants, plus leur attractivité sur le marché des nanosatellites et des microsatellites sera marquée. C'est notamment l'objectif du laboratoire Icare du Centre National de Recherche Spatiale, qui se penche sur des moteurs à propulsion plasmique d'une poussée comprise en 1 et 10 millinewtons.
Lors de la 31 e conférence consacrée aux télécommunications par satellites qui s'était tenue à Washington en 2012, Boeing avait annoncé avoir reçu la commande pour quatre satellites électriques. Depuis, ce ne sont pas moins de 18 autres satellites électriques qui ont été commandés auprès de différentes compagnies. Preuve qu'un engouement pour la technologie et les gains de poids qu'elle permet existe bel et bien. Le premier CubSat (nanosatellite cubique) à être équipé de propulseurs électriques, Aoba Velox 3, a été lancé en décembre 2016. Son opération permettra d'en savoir un peu plus sur la vie orbitale d'un tel système.
Outre l'engouement suscité par la technologie de propulsion électrique, certains opérateurs gardent à l'esprit que, d'un point de vue production en série, rien n'est jouer pour ce type de propulseur. Toutefois, la nouvelle génération de nanosatellites et microsatellites commerciaux qui devrait emplir les cieux dans les prochaines années seront assurément impactés par la tendance du tout électrique. Nous entrons à n'en pas douter dans l'ère du satellite électrique. Reste à savoir si demain, même les plus gros d'entre eux pourront bénéficier des avantages de la technologie.
Loïck Laroche-Joubert, à Cranfield pour AeroMorning