Pour faire sentir à quel point l’iconographie du retable de Mérode est complexe et exceptionnelle, nous allons parcourir les très rares exemples ou un peintre s’est aventuré à représenter Joseph dans une Annonciation.
Un sujet délicat
Toute la difficulté de la représentation est que, selon l’Evangile de Matthieu, la Vierge Marie à ce moment n’habitait pas das la maison de Joseph :
« Or la naissance de Jésus-Christ arriva ainsi. Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph, il se trouva, avant qu’il eussent habité ensemble, qu’elle avait conçu par la vertu du Saint-Esprit. Joseph, son mari, qui était juste et ne voulait pas la diffamer, se proposa de la répudier secrètement. Comme il était dans cette pensée, voici qu’un ange du Seigneur lui apparut en songe, et lui dit: » Joseph, fils de David, ne craint point de prendre chez toi Marie ton épouse, car ce qui est conçu en elle est du Saint-Esprit. Et elle enfantera un fils, et tu lui donneras pour nom Jésus, car il sauvera son peuple de ses péchés. » Or tout cela arriva afin que fût accompli ce qu’avait dit le Seigneur par le prophète:
Voici que la Vierge sera enceinte et enfantera un fils; et on lui donnera pour nom Emmanuel, ce qui se traduit: Dieu avec nous. Réveillé de son sommeil, Joseph fit ce que l’ange du Seigneur lui avait commandé: il prit chez lui son épouse. Et il ne la connut point jusqu’à ce qu’elle enfantât son fils, et il lui donna pour nom Jésus. » Mathieu 1, 18-23
L’Annonciation et l’Expulsion du Paradis
Giovanni di Paolo, vers 1435, National Gallery of Art, Washington
Joseph est en train de se sécher auprès du feu. S’il figure dans le tableau, c’est isolé derrière une cloison temporelle : il préfigure le Futur, la Noël, tout comme le tiers gauche du panneau rappele le Passé, la Chute.
Annonciation
Meister von Maria am Gestade, 1460-1470, eglise de Ste Maria am Gestade,Vienne
Joseph est ici relégué dans le jardin, assoupi sur son bâton. Image d’un père terrestre bien inoffensif (sa virilité réduit au bâton) sous celle d’un Père céleste en pleine forme.
Annonciation, Andrés Marzal de Sas, 1393-1410, Saragosse, Musée provincial
Joseph est en train de tailler à la hâche une branche, dans son atelier que la porte hermétiquement close isole de la chambre de Marie.
Dans la pièce du premier étage, une même porte en arcade est ouverte, permettant à l’Ange de rentrer latéralement. Au-dessus du toit, Isaïe brandit un phylactère portant sa prophétie tandis que, sur une pluie de rayons dorés, l’Enfant Jésus portant sa croix traverse miraculeusement la voûte dans le sillage de la colombe.
Tapisserie de l’Annonciation
Scènes de la vie de la Vierge, Palais du Tau, Reims
Joseph travaille à l »écart dans un appentis, noyé dans la masse des inombrables figurants.
Durant la grossesse
Le doute de Joseph
Maître du Jardin du Paradis, vers 1430, Strasbourg, Musée de l’Œuvre Notre-Dame
Presque aussi rare en Occident est l’illustration de la suite du passage de Matthieu, où l’ange brandit la prophétie pour retenir Joseph qui s’apprête à abandonner son atelier et à répudier Marie, ayant découvert son ventre rebondi.
L’iconographie du Doute de Joseph est bien plus courante dans l’art byzantin, mais associée à la Nativité (voir Le mystère du Doute de Joseph).
Lors de la Nativité
La Sainte Famille avec des Anges
Anonyme, vers 1425, Gemäldegalerie, Berlin
Si Joseph est incontournable dans les Nativités, il est très rare de le voir représenté dans son activité de charpentier. Il faut toute la fantaisie du début du XVème siècle pour placer un établi à côté de la Crèche. Des anges s’occupent de réparer le toit, tandis qu’un autre ange arrange un oreiller sous la tête de Marie, qui se rétablit en mangeant sa soupe.
Ayant puisé de l’eau à la fontaine dorée, deux anges la transportent vers la marmite qui chauffe, à côté de laquelle deux autres font sécher les langes. Une servante remplit d’eau chaude la baignoire, surmontée, selon l’expression de Panofski, par « un des premiers et des plus élégants rideau de douche de l’ histoire. »
Pendant ces préparatifs, le petit Jésus se retourne vers sa mère pour quêter son approbation : au mépris de toute probabilité physiologique, il court, en traînant son lange derrière lui, vers son père qui l’attire en agitant deux papillons.
Sur l’établi, on voit une planche munie de deux pieds assemblés avec le marteau : sans doute un tabouret qu’il est en train de fabriquer pour le petit garçon.
La Sainte Famille
Heures de Catherine de Clèves, vers 1440, The Morgan Library
Ici, la miniature s’amuse à mettre en parallèle Marie allaitant et le bon Joseph mangeant sa soupe, assis dans un tonneau transformé en fauteuil, un pied déchaussé et la bourse pendouillant sous son gros ventre.
Autour d’une cheminée similaire à celle du panneau de Bruxelles, on voit combien cette miniature s’en éloigne : il s’agit ici d’exploiter le potentiel anecdotique et familier de l’histoire de la Sainte Famille, et d’évacuer sous une accumulation de détails prosaïques son caractère sacré. Le retable de Mérode fait exactement l’inverse : par le placement choisi des objets du quotidien, il les sacralise et en fait les éléments d’un discours théologique.
Vers la fin du XVème siècle apparait sporadiquement une iconographie proche de celle du retable de Mérode, où Joseph menuisier est montré en train de percer une pièce de bois.
Annonciation avec Saint Joseph et un prophète
Peintre flamand avant 1490, musée Correr, Venise
L’Annonciation est peinte en grisaille sur le verso des deux panneaux latéraux d’un retable disparu.
Au recto, le panneau de gauche montre un prophète lisant, et celui de droite Joseph commençant à percer un quatrième trou dans une planche carrée.
Si le prophète est Isaïe, l’idée pourrait être de mettre en parallèle la prophétie, sur papier et sa réalisation, sur bois : la planchette trouée étant alors le prétexte à une préfiguration de la Crucifixion.
La Sainte Famille
Gravure de Veit Stoss, vers 1490
L’intention est bien plus claire dans cette gravure du très grand artiste qu’était Veit Stoss.
Tandis que Marie raccommode la petite robe de Jésus sur un porte-manteau en forme de croix, Joseph manipule une tarière elle-aussi en forme de croix pour percer deux trous dans une poutre. Tournant le dos à ces lourds symboles , l’enfant joue, inconscient du destin qui l’attend.
La Sainte Famille
Panneau sculpté, Académie de Cracovie
Ce panneau, d’une iconographie très semblable à celle du dessin, provient de l’article de Josef de Coo consacré aux bancs-tournis, dont on voit ici un nouvel exemple.
Saint Luc peignant la Vierge
Colin de Coter, 1493, Eglise de Notre-Dame de Vieure
Ici, la métaphore de la Crucifixion est impossible, puisque Joseph est en train de percer une série de trous dans une planche rectangulaire, sans utilité évidente.
Le geste mécanique du vilebrequin, à l’arrière-plan, semble surtout conçu pour mettre en valeur le geste habile du pinceau, au premier plan. Comme souvent, le thème de Saint Luc peignant la Vierge sert de prétexte à l’auto-glorification de l’Artiste, ici sur le dos de l’humble Joseph.
La planche à trous du retable de Mérode ayant énervé quatre générations d’historien d’art, toutes les réserves des musées et des sacristies ont été passées au crible et il est peu probable qu’on découvre encore d’autres exemples de Joseph perforant.
De ces rares exemples ne semble pas émerger une iconographie unique dont le sens aurait été perdu : mais bien plutôt une formule visuelle exploitée à des fins variées, parmi lesquels la Préfiguration de la Passion. Métaphore qui reviendra bien plus tard, telle une comète périodique, dans cette oeuvre célébrissime :
Saint Joseph charpentier
Georges de La Tour, 1638 -1645, Louvre ,Paris