(Anthologie permanente) Ko Un, "La première personne est triste"

Par Florence Trocmé

Ma prochaine vie

Je suis entré dans la forêt du mont Seo'un Enfin c'est chez moi
J'ai poussé un long soupir
Des ombres sont entassées sur des ombres
J'ai relâché
Les quelques rayons de lumière ivres que j'avais apportés La nuit est tombée
Quel que soit le pays la liberté se trouve toujours à la fin
J'ai aussi relâché un à un
Les petits déchets de cent ans
Le matin
La rosée pendillait aux toiles d'araignée vides
Dans le monde il y avait trop de passés et les futurs allaient en diminuant
Une partie du vent à l'extérieur de la forêt
Est entrée dans la forêt tête baissée
Les feuilles de chêne gazouillaient comme des oiseaux rentrés au bercail
Si je regardais en arrière
J'étais depuis longtemps descendant des illettrés
Fortuitement
Fortuitement
J’ai été pris dans les lettres inévitables d’une langue agglutinante
Dans ma prochaine vie je serai une pierre hors d’haleine
Profondément enfouie sous la terre
Sous le crâne d’une veuve silencieuse
Et les nouveaux cadavres sans paroles de quelques orphelins couverts de sacs de jute.
/
J'ai été
J'ai été toutes les choses de l'univers
J'ai été une coccinelle
Une vache
Une fourmi rouge
Un mauvais esprit yaksha
Un chêne
Et un insecte sur un chêne
J'ai été un hanneton
Puis mort
J'ai quitté ma carapace de hanneton dans une toile d'araignée se balançant au vent
J'ai été un saumon qui n'est pas revenu
Un escargot d'eau
Un serpent venimeux de juillet La peau du serpent était sacrée
Je voulais devenir un chien
Mais j'ai été le descendant des humains espèce la plus barbare du monde
J'ai été un colporteur
Dévoré par un tigre
J'ai été un asticot
Et je serai encore un asticot
Et j'ai encore été
Un lièvre
Et en tant que lièvre
J'ai été dévoré par un sanglier sauvage
Puis je suis né comme marcassin Je détestais la sagesse
Né en tant qu'humain
J'ai été un chaman maladroit
Puis je me suis débarrassé de ma forme humaine
J'ai été un œuf brisé
Avant de devenir un poussin
Une oie épuisée de voler jour et nuit pendant sept mille kilomètres
J'ai été un intérimaire dans une taverne de carrefour à Cheonam à la fin du royaume de Goryeo
Et au milieu du royaume de Joseon
Un batelier à Pusan
Je serai une amibe Je sangloterai longtemps les nuits de pleine lune
/
Ces chuchotements

Il pleut
Je m'assieds à mon bureau
Le bureau me dit doucement
— Autrefois j'étais des fleurs des feuilles et des tiges
J'étais une longue racine sous la terre
Étendue jusqu'à l'oasis de l'autre côté du désert
Un morceau de fer sur le bureau me dit
— J'étais la luette d'un loup qui hurlait seul au clair de lune
La pluie cesse
Je sors
L'herbe bien mouillée me dit
— Autrefois j'étais vos diverses émotions
Votre vie et vos chansons
Vos rêves
Maintenant je dis
Au bureau
Au fer
À la terre
— Autrefois j'étais toi toi et toi
En ce moment je suis toi et toi
Ko Un, La première personne est triste, traduit du coréen par No Mi-Sug et Alain Génetiot, Serge Safran éditeur, 2017, 224 p. 18,90€, pp. 29, 63 et 173.
Sélection de Jean-Pascal Dubost. Lire sa note de lecture de ce livre.
Portrait de Ko Un