The Historian Traduction : Evelyne Jouve
Avant tout, un petit conseil : si vous entreprenez de lire ce roman, arrangez-vous pour le faire en deux, au maximum trois jours. Si, en effet, vous comptez vous ménager plus de pauses, il y a de fortes chances pour que vous n'en voyiez jamais le bout, et ceci même si vous êtes un lecteur chevronné.
Alors, d'où vient le problème ? ...
Personnellement, je suis toujours aussi consternée à l'idée que "deux millions d'exemplaires" de ce livre ont été vendus lors de la première édition de ce récit poussif, qui alterne les scènes dans les bibliothèques poussiéreuses et les descriptions de villes et de paysages européens, tout cela à un rythme qui, je le réitère, ferait passer une tortue asthmatique pour un Fangio de la carapace.
__L'idée de départ pourtant était bonne : un étudiant en Histoire - le père de la narratrice - découvre un jour, sur sa table de travail, dans une antique bibliothèque oxfordienne, un curieux petit volume aux pages intégralement blanches, sauf en son centre où se trouve reproduite l'image d'un dragon dont la couronne est un château. L'étudiant le dépose à l'accueil mais le lendemain, rebelote, voilà le livre à nouveau sur son pupitre ! Cette fois, l'étudiant manque se fâcher. Mais, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, il décide de faire voir l'étrange ouvrage à son directeur de thèse, le Pr Rossi.--
... Et - tenez-vous bien ! - il se trouve que Rossi, lorsqu'il était lui-même étudiant, était tombé sur un exemplaire similaire - exemplaire qu'il a conservé d'ailleurs. La preuve : il le montre à son disciple ...
La narratrice raconte une histoire en intégrant dans son récit celui de son père (l'étudiant) qui, à son tour, insère dans son propre récit celui du Pr Rossi. A partir de là, le pli est pris et d'autres personnages viendront, eux aussi, raconter leur affaire. Or, pour utiliser pareil procédé sans lasser le lecteur, il faut vraiment être un maître - et surtout ne pas fractionner trop souvent l'ensemble. Elisabeth Kostova l'a bien senti puisque, à peu près au milieu du premier tome, elle nous donne les lettres de Rossi tout à trac, sans recourir au protocole habituel. Mais c'est trop tard : le lecteur, qui attend depuis longtemps que l'action se déclenche vraiment, ne lui en saura aucun gré.
Outre ce rythme trop cassé, le style est ... plat. Il n'y a aucune passion, là-dedans - enfin, je n'en ai senti aucune mais il est vrai que je suis une nature excessive et peut-être aurez-vous plus de chance si vous ne vous endormez pas avant la fin du premier chapitre. Ce dont je suis sûre par contre, c'est que le nom de Drakula fait vendre et que, du coup, on s'imagine trop souvent pouvoir ficeler n'importe quelle intrigue autour du patronyme fameux : après, le Diable fera le reste. A la décharge de l'auteur, il faut tout de même mentionner que le titre original ne fait pas mention au célèbre aristocrate roumain.
Mais des perforations sur le cou de tel ou tel personnage, quelques traînées de sang sur le plafond de telle ou telle bibliothèque, les apparitions chaotiques d'individus au teint très pâle et aux lèvres très, très rouges (mais qu'est-ce qu'ils peuvent avoir, à votre avis ? ... ;o) ), les angoisses d'une héroïne évanescente et les silences de son père, qui se la joue un peu trop tragique pour espérer récolter jamais un prix d'interprétation, rien de cela n'est suffisant pour ressusciter la magie immémoriale du Vampire.
Comble du comble, la prétendue historienne nous sort la légende noircissime de Vlad Tepès alors que les études dont elle se réclame, justement, devraient l'avoir mise en garde contre la très mauvaise réputation que ses éclatants succès contre les Ottomans devaient lui valoir après sa mort, lorsque la Valachie tomba aux mains de la Sublime Porte. Cruel, Vlad III ne le fut pas plus que bien des chefs ennemis ou alliés de son époque. Et si les Turcs le redoutaient tant, c'est parce qu'ils savaient très bien que, élevé à la cour du sultan, il était parfaitement à même d'utiliser les mêmes méthodes qu'eux pour réduire ses adversaires.
Quant aux personnages, ah ! mes aïeux ! ils sont mous, fades, sans réelle profondeur. Les vampirisés ne sont pas mieux servis d'ailleurs : on se demande où ils trouvent la force de sévir. Et leur Maître lui-même ... Pour les adorateurs du mythe, pour les amateurs de littérature fantastique, l'ersatz de Drakula que nous sert Elisabeth Kostova est, j'ai le regret de le dire, une imposture manifeste.
En d'autres termes, "L'Historienne et Drakula" est tout le contraire de ce que fut et demeure l'éblouissant conte gothique de Bram Stoker. Une bonne raison de lire - ou de relire - celui-ci, sur la plage ou en vacances. Mais "L'Historienne ...", non, franchement, laissez tomber.
Sauf si vous avez des insomnies, bien sûr ... ;o)