De tous mes voyages, physiques ou intellectuels, je reviens toujours avec dans mes bagages ou dans quelque petit recoin de ma mémoire avec des amis, des images, des sensations et des magiques rencontres. Et aujourd'hui me reviens une singulière œuvre qui ne doit rien à une académie du beau mais tout à l'apprentissage et à l'expérience de la vie: l'œuvre de Sam Doyle
Américain, XXe siècle.
Né en 1914 à Memphis, Tennessee; mort en 2005 à Memphis.
Sam Doyle est né Thomas Samuel Doyle (le surnom de " Sam " lui ayant été donné par un employeur blanc) au sein d'une famille nombreuse descendant d'esclaves Afro-Américains, les Gullah, qui ont longtemps vécu dans un état de quasi-isolement du continental américain. Jusqu'à ce que Doyle ait vingt ans, le seul accès à l'île de Saint Helena, en Caroline du Sud, était par bateau. Protégés par cette barrière physique et l'indifférence des Blancs, les Gullah ont pu préserver d'importants traits culturels africains et s'expriment dans un créole à base d'anglais comprenant de nombreux emprunts à des langues africaines. Très peu d'informations administratives sont disponibles dans l'ancienne plantation de Frogmore sur l'île de Saint Helena, mais un jeune décrocheur du nom de Sam Doyle y a suivi sa scolarité jusqu'à sa neuvième année.
Les talents de Doyle avaient été remarqués dès son passage à la Penn school par un enseignant qui l'avait encouragé à poursuivre des études en art. Doyle se souvient d'avoir commencé à peindre vers 1944, ne cessant par la suite d'affiner son talent artistique et d'élargir le contenu de ses compositions. Après sa retraite dans les années 1970, Doyle devient un artiste prolifique et dévoué, conscient de son rôle de scribe, de chroniqueur et d'artiste engagé pour les habitants de l'île.
Doyle a recouvert les murs extérieurs de sa maison et de son studio - un ancien café autrefois tenu par sa femme qui l'a abandonné - de scènes décrivant différents sujets. Ses premiers admirateurs ont été ses contemporains insulaires, leurs enfants et leurs petits-enfants, qui souvent n'avaient d'autre accès à l'histoire et à la culture de leur communauté que par le bouche-à-oreille et les peintures narratives de Doyle.
Le centre d'intérêt de Doyle a été essentiellement son île. Il s'est soigneusement documenté sur la vie des insulaires, leurs personnages folkloriques légendaires et leurs mythes et superstitions, devenant par la suite lui-même un fabricant de mythes. Il a donné une image équilibrée de ses amis et connaissances, nous montrant à la fois leurs forces et leurs faiblesses, leurs bonnes actions, leurs pouvoirs mystiques, leurs excentricités et leurs failles sexuelles. Ses tableaux semblent à première vue simplistes et naïfs, mais ils relèvent en fait d'une stratification complexe de significations codées et de commentaires sociaux. Il observait les gens dans leur intimité, à l'intérieur de leurs maisons et de leurs pensées. Il notait, très fier, les changements sociaux survenus au sein de la communauté noire à Saint Helena, dans le Sud, et à travers l'Amérique. Lorsqu'un Noir devenait le premier des siens à exercer une profession sur l'île, Doyle en faisait le portrait afin de commémorer les progrès de sa communauté. C'est ainsi qu'il a peint le ou la premier (ère) médecin, coiffeur, sage-femme, blanchisseur, embaumeur, facteur ou policier de Saint Helena. Doyle voulait également informer les insulaires des progrès et réussites des Noirs vivant ailleurs aux Etats-Unis. Il a ainsi peint Joe Louis, Ray Charles, Jackie Robinson, Martin Luther King, et beaucoup d'autres sportifs, artistes, et personnalités connues.
Le dernier métier officiel exercé par Doyle a été celui de gardien dans une chapelle de Frogmore, vieille de 200 ans et tombant en ruine. Ce travail l'a peut-être rapproché des esprits qui protègent et hantent les habitants de Saint Helena. Doyle aimait évoquer les choses surnaturelles et les peindre. Une légende célèbre raconte l'histoire d'un jeune esclave qui, sur ordre de son maître, aurait été décapité et enterré afin de protéger un trésor caché. Tous les sept ans, racontaient certains habitants, le fantôme du jeune esclave courait à travers bois et dans les rues en portant sous son bras sa tête qui poussait des cris. Avec l'arrivée des premières voitures sur l'île, le fantôme a disparu et n'est apparemment plus jamais revenu.
Les Gullahs ont fait l'objet de nombreuses études. C'est probablement la culture populaire la plus étudiée de la communauté des Noirs d'Amérique. De nombreux livres, articles, essais photographiques et films documentent la vie des insulaires. Or l'ensemble des tableaux réalisé par Sam Doyle constitue certainement l'une des chroniques les plus pertinentes et informatives sur la vie des Gullahs. Doyle se sentait investi de la mission de noter tout ce qu'il voyait et connaissait. Une semaine avant sa mort à l'âge de 79 ans, il a expliqué: " Ce sont des choses qui sont arrivées il y a longtemps. Ils veulent que je rende compte d'abord de l'Histoire. Eh bien, j'ai commencé il y a 70 ans à rassembler les faits historiques de cette île et les choses qui se sont produites depuis que je suis enfant. Ce que je peins, c'est l'Histoire ".
- Phillip March Jones
Expositions sélectionnées
2013, Great and Mighty Things: Outsider Art from the Sheldon and Jill Bonovitz Collection, Philadelphia Museum of Art
2010, The Museum of Everything, Pinacoteca Giovanni e Marella Agnelli, Turin
2004, Coming Home: Self-Taught Artists, The Bible, and the American South, Art Museum of the University of Memphis, Memphis
1987, Baking in the Sun: Visionary Images from the South - Selections from the Collection of Sylvia and Warren Lowe, University of Southeastern Louisiana Art Museum, Hammond
1982, Black Folk Art in America 1930-1980, Corcoran Gallery of Art, Washington, D.C.
Collections sélectionnées
High Museum of Art, Atlanta
Philadelphia Museum of Art, Philadelphie
Smithsonian American Art Museum, Washington, D.C.
Bibliographie sélective
The Museum of Everything, catalogue d'exposition, Pinacoteca Giovanni e Marella Agnelli, Turin/Milan, 2010.
Bailey, Gordon, "Sam Doyle Haints and Saints," Raw Vision, #61, Hiver 2007.
Crown, Carol, Coming Home: Self-Taught Artists, The Bible, and the American South, catalogue d'exposition, University Press of Memphis, Memphis, 2004.
Arnett, William, "Sam Doyle," Souls Grown Deep: African American Vernacular Art of the South, Volume 1, Tinwood Books, Atlanta, 2000.
McEvilley, Thomas, "The Missing Tradition - African American Art, Atlanta City Hall; Thornton Dial, Michael C. Carlos Museum, Atlanta, Georgia," Art in America, Mai 1997.
Black Folk Art in America 1930-1980, catalogue d'exposition, Corcoran Gallery of Art, Center for the Study of Southern Culture & University Press of Mississippi, Jackson, 1982.