En 1924, Karel Čapek se rend sur les îles britanniques, invité par le PEN Club (il présidera le centre tchécoslovaque de 1925 à 1933). Les lettres d'Angleterre sont le récit de ce voyage illustré par des dessins de son cru, très épurés et très évocateurs. Le jeune écrivain tchèque - il a alors 34 ans - découvre avec surprise que l'Angleterre [est] réellement anglaise...
Tout ce qu'il a lu au préalable sur l'Angleterre se révèle en effet exact: le Parlement, la Tamise, les policemen - les fameux Bobs de deux mètres - et les gentlemen en haut de forme gris... Une chose l'étonne cependant: on marche sur les prairies au lieu de chemins. Faisant de même à Hampton Park, il n'a jamais eu le sentiment d'une liberté aussi illimitée qu'à ce moment-là...
Il pense que cela a une considérable influence sur le caractère de l'homme et sur sa conception du monde: Cela lui ouvre la possibilité miraculeuse d'aller ailleurs que par le chemin, et en outre de ne pas se considérer lui-même comme un être nuisible, un voyou ou un anarchiste. Il constate: Seuls les gazons et les gentlemen anglais se rasent tous les jours...
S'il est effrayé par le traffic en ville de Londres, il est émerveillé dès qu'il en sort: La campagne anglaise n'est pas faite pour le travail: elle est faite pour les yeux. Mais il est submergé d'un indicible ennui par le dimanche anglais et se demande, faussement naïf pour quelles inexpiables fautes le Seigneur a condamné l'Angleterre au châtiment hebdomadaire du dimanche :
Le dimanche d'Exeter est si radicalement saint que même les églises sont fermées...
En Angleterre, la sainteté va de pair avec le dénuement: Les cathédrales anglaises sont nues et étranges, comme si elles attendaient que quelqu'un y emménage...
Il remarque que les Anglais ne sont guère loquaces: L'homme du continent se donne de l'importance en parlant: l'Anglais en se taisant. Il fait alors un rapprochement: Si les Anglais ont inventé tous les jeux, c'est sans doute parce qu'en jouant on ne parle pas...
Lui parle de bien d'autres choses vues au cours de ce voyage: de Hyde Park, des musées où sont réunis les trésors du monde entier, des animaux au zoo et dans les prairies, de Madame Tussaud's, des clubs où règne une odeur de gloire et de vieux fauteuils de cuir, de Cambridge et d'Oxford où le but n'est pas de former de savants mais des seigneurs...
S'il est très critique après avoir vu la British Empire Exhibition à Wembley, ou l'East End de Londres, il abandonne son ton volontiers ironique et son humour au fond très britannique, quand il parle de l'Écosse où ma foi tout [lui] a plu, surtout, semble-t-il les montagnes sombres du nord:
Montagnes bleues et noires des flots glauques; vallées aux vaches rousses, claire et sombre verdure, petits lacs étincelants et beauté nordique des saules; ondulation sans fin, harmonieuse et nue, des collines, des ravins et des vallons, glens tapissés de végétation et pentes rousses de bruyère; beauté septentrionale des prairies, bosquets de bouleaux, et au nord, au nord là-bas, l'éclat poli de la mer comme une lame d'acier...
Francis Richard
Lettres d'Angleterre, Karel Čapek, 184 pages, La Baconnière (traduit du tchèque par Gustave Aucouturier)