Hier matin, quelque part à Marseille.
Sur la terrasse de l'appartement que mon homme et moi avons investi à Marseille, je sirote un verre de chardonnay, je songe au verre de bonheur, le joli nom du vin sud-africain que j'avais acheté au Cap et bu à la santé de l'amie qui m'avait aidé dans mon escapade en forme de coup de lune, au bout du monde. Bercé par la petite danse du store bleu et le tac-tac des rouges-gorges dans le jardin de la résidence, je pense aux petits riens que je moissonne chaque jour.
Cueillir les tomates vertes qui deviendront tarte salée, confiture ou chutney.
Troquer les outils modernes contre un bloc de papier et un stylo pour rédiger la lettre à une amie.
Me faire lire les lignes de la main par une cliente et la prendre dans mes bras pour lui dire au revoir prenez soin de vous.
Accepter la gentille invitation à s'abreuver au beaujolais chez Joëlle et Julia qui ont mis les petits plats dans les grands.
Boire le soleil du matin.
Humer le parfum d'une rose.
M'abîmer dans la lecture d'un roman.
Acheter une vieille boîte en fer verte et lui trouver un usage.
Me rouler par terre pour jouer avec la chienne.
Contre vents et marées, qu'il giboule ou qu'il mistrale, je continue de m'émerveiller des petits riens du quotidien, des premières fois à tout âge, des mêmes nuages qui rosissent ou s'effilochent sous mes yeux ébaubis.
Je ne manque hélas pas de maugréer contre le sombre cornichon qui jette n'importe quoi n'importe où, qui consomme à tout-va sans agiter son neurone, qui bouscule, qui insulte, qui se croit seul au monde, qui gaspille sa misérable et courte vie à pourrir celle des autres.
Pas plus tard qu'avant-hier au marché. Une dame et son toutou. J'interpelle la dame :
- Vous avez perdu quelque chose, dis-je, désignant le bel étron fumant de son compagnon à quatre pattes.
S'ensuit un dialogue de sourds. J'ai mis le nez de la dame dans le caca de son chien, elle se justifie, m'abreuve d'arguments de m----. Bah voyons, dis-je, faisons n'importe quoi, puisque d'autres comme vous salissent la voie publique, continuons.
Autour de nous, personne ne moufte. Je pisse dans un violon mais j'ai dit à la cornichonne le fond de ma pensée.
Au supermarché, en bas de chez-nous, un olibrius resquille et se retrouve en tête de file. J'ai la mauvaise idée de ramener ma fraise pour lui faire savoir qu'il y a quelques règles à respecter en ce bas-monde : dire bonjour, merci, et faire la queue comme tout le monde. Même dialogue de sourds.
- Les règles sont faites pour être enfreintes, éructe-t-il.
- Ah ?! Dans ce cas, pourquoi passer par la caisse ? Partez sans payer, dis-je sous le regard circonspect des deux caissières.
- Ah mais non, je suis voisin, fanfaronne le gars.
Les bras m'en tombent. Je les ramasse et je rentre chez moi.
Au diable la crétinerie. Au diable la crotte qui fait office de comprenette à la dame ou au gars.
Revenons à nos moutons, revenons au goût des merveilles.
Je n'avais pas prévu de proposer à Amelia la lecture du billet précédent (lien). Je craignais d'empiéter, de surprendre et décevoir. J'improvise. Elle est débordée mais toujours professionnelle et cordiale. Dans la file qui mène à son comptoir, j'ai derrière moi quatre ou cinq clients qui trépignent d'impatience. Mon tour venu, je dis bonjour comment allez-vous ? Elle répond ça va bien merci; comme vous le constatez, comme d'habitude, rien ne fonctionne. Je parle à voix basse : j'ai écrit une petite chronique où vous apparaissez, je vous rassure, je n'ai mentionné ni xxxxxxx ni xxxxxxx. Je peux vous l'envoyer par mail ? Un immense sourire illumine son visage. Elle ne sait comment me remercier, se dit très touchée, elle a hâte de lire ça.
Les emplettes sous le bras, je m'en vais m'asseoir à une table de café pour poser sur le papier le brouillon de ce billet.