C’est un poète singulier que voilà. Il est mort en 2013 et ce livre tombe à point nommé, si ce n’est pour le réhabiliter, tout au moins pour le faire échapper à l’oubli qui l’aurait certainement englouti. Visuellement, les poèmes sont verticaux, les vers brefs, voisinant parfois le monosyllabe et le format sonnet n’est pas rare dans cette maigreur que l’auteur affectionne dès les années 90. Tant et si bien que, dans le format à l’italienne de l’ouvrage, ses textes sont proposés sur deux colonnes. La deuxième singularité tient dans ses thèmes avec des entités qu’il n’hésite pas à honorer d’une majuscule comme Mort, Amour, Désir, Mystère, Temps, Monde… et tout un ensemble d’autres vocables de la même teneur.
l’âme humaine
est aussi
la viande
de Dieu
À partir de ces éléments fortement marqués qui constituent en quelque sorte les piliers de son paysage mental, sa pensée va relier les uns aux autres d’une façon inattendue où l’on frôle d’un côté l’imprécation et de l’autre l’humour, ce qui donne un aperçu de l’empan de sa poésie.
il était une fois un miroir
qui regardait dans le vide
au cas où quelqu’un
y ferait naufrage…
Parmi les thèmes récurrents, celui de la guerre est particulièrement présent, mais il aime par salves interroger un sujet de multiples manières afin de tenter de l’épuiser.
Dieu est
comme
un éléphant
dansant
avec
des puces
Maintes fois, ses phrases, émaciées, tourneraient à l’aphorisme, ce qui serait une singularité supplémentaire de cette poésie qu’on pourrait qualifier d’abstraite, puisque les choses se rattacheraient davantage à des principes
au soleil du temps
on peut espérer que
les chaussettes rouges sèchent
les larmes d’un empire
On n’est pas loin ici du mouvement surréaliste duquel il se réclamait au début. Mais ce serait limiter sa poésie que faire de l’auteur un lointain épigone. Élie Delamare-Deboutteville possède sa propre écriture tout à fait surprenante et novatrice.
Le temps
est un aquarium
à barreaux
où les étoiles
saignent
Hubert Haddad évoque dans sa préface « sa fastueuse mansuétude d’ermite, de funambule ou de saint ». Il donne aussi en postface une brillante étude à propos du peintre qui illustre le volume : Serge Kantorowicz : la peinture ou le comble du poème.
Jacques Morin
Élie Delamare-Deboutteville, Le rêve n’est pas ce qui manque, peintures de Serge Kantorowicz, Préface de Hubert Haddad, Postfaces de Jean-Paul Bourre, Georges-Olivier Châteaureynaud et Hubert Haddad. Le Réalgar, 2016, 140 p., 19€.