SILA 2017 / URPA : La critique littéraire vue de Paris, d'Alger, de Dakar...

Par Gangoueus @lareus

Crédit photo - Aaron Burden


Ce titre a pour vocation d’être accrocheur et naturellement il est inexact. Il est difficile pour moi en trois jours de me faire une idée même partielle de ce qu’est la critique littéraire à Alger. On discute avec des acteurs du livre et les avis sont relativement partagés. Plus que d’être des critiques littéraires dédiés, dévoués à la cause du livre, il est plutôt question de journalistes  portant un regard sur le panorama des différents secteurs d’activités du monde de la culture. Ces derniers peuvent d’ailleurs être principalement portés l’activité politique ou économique...

Rencontre d'un éditeur au SILA (Esprit Panaf)

Abdoulaye Diallo - Crédit photo Gangoueus 

Pour être correct, en regardant le monde littéraire algérien depuis l’espace Esprit Panaf, je n’ai pas assez d’éléments d’appréciation. Recentrons nous sur le monde subsaharien, je peux me servir de ces quelques lignes sur l’échange que nous avons eu avec Abdoulaye Diallo sur la critique littéraire et les usages que l’acteur du livre qu’il est au Sénégal peut en faire. Encore faut-il définir cet homme engageant. Abdoulaye Diallo. Entrepreneur. Maître de conférence dans une université dakaroise. Historien de formation. Cet homme polyvalent est avant tout un passionné de littérature et de l’édition. Depuis 2009, il administre les éditions L'Harmattan Sénégal dont il est aujourd’hui actionnaire majoritaire. Nous avons eu le temps d’échanger avec le Dr Diallo dans le cadre d’un podcast qui sera disponible très prochainement. Il a travaillé pour L’Harmattan Paris avant de prendre les rênes de cette maison d'édition à Dakar. Dans le cadre des échanges liés à la table ronde, il souligne qu’il est un éditeur africain, rappelant la parfaite autonomie en termes de décision et de choix de publication des structures L’Harmattan en Afrique. Dans le fond, il y a une exploitation de la marque L’Harmattan un peu comme les franchises de fast-food ou de magasins hard-discount comme McDo ou Franprix. En discutant avec Abdoulaye Diallo et Mohamed Lamine Gazza Camara (L’Harmattan Guinée), je ne peux m’empêcher de penser que nous observons trop cette structure qu’au travers du non travail d’édition de la section parisienne (en particulier la collection Encres noires) en publiant souvent des textes de fictions publiées sans réelle relecture, ne bénéficiant d’aucune visibilité et diffusion en dehors de celle que l’auteur peut apporter à son travail, usant de la vanité de celles et ceux qui veulent exister au travers d’une publication, aussi nulle soit-elle. Je ne parle même pas du redoutable modèle économique de cet éditeur où les ayant-droits ont rarement l’occasion de toucher des retombées, la production étant amortie par les exemplaires obligatoires que l’auteur doit acheter. A côté de cela, il est important de souligner qu'il y a une capacité réelle à matérialiser les travaux de recherches de nombreux universitaires, une numérisation systématique du catalogue de cet éditeur, rendant ces livres accessibles partout sur la planète Terre. En termes de capacité à faire circuler les idées, il faut le dire, nous sommes face à un éditeur qui n’a de cesse de faire preuve d’innovation au niveau de la chaine du livre. Leur dernière trouvaille concerne cette unité d’impression à la demande qui est un des ponts qui va permettre la transition vers le livre numérique.

Quel rapport ont les éditions L’Harmattan Sénégal à la critique littéraire ?

Je note que le dirigeant de cette structure porte un intérêt sur cette dimension de la promotion de son catalogue et qu’il travaille avec des journalistes culturels ayant pignon sur rue. Ce positionnement est intéressant et il serait pertinent d’avoir le retour de ses écrivains sur cette question. Abdoulaye Diallo rappelle toutefois que la cible à toucher n’est pas très large dans un pays où l’illettrisme touche 40% de la population. Donc la critique littéraire touche un scope réduit avec l’objectif de tenir informé les grands lecteurs des différentes parutions de sa maison d’édition. Je remarque que dans la démarche d’acquisition d’un lectorat par cet homme innovant, la diaspora sénégalaise, voire africaine est absente. Ainsi aucune initiative à l’endroit des différentes formes de critique au niveau des communautés en Europe n’est réellement entreprise. Il y a peut être là une sous-estimation de ce que peut apporter la critique littéraire ou notes de lecture produite sur le web à l’endroit de la diaspora d’autant que la plupart des livres édités chez L’Harmattan Sénégal existe en format numérique et donc sont disponibles dans n’importe quelle librairie numérique en Europe…

La critique littéraire peut elle réellement servir à quelque chose ?

De Paris à Alger en passant par Dakar, j’ai le sentiment que la réponse à cette question est sensiblement la même. D’ailleurs, on se pose même la question de savoir si la littérature sert à quelque chose dans un contexte où l’individu se noie dans son quotidien, oppressé par des élites préoccupées à engraisser des comptes en banque sur le dos d’un contribuable africain, reproduisant cyniquement ou plus grave inconsciemment les comportements d’antan où les chefs coutumiers ou monarques côtiers vendaient avec ou sans contrainte des masses de prisonniers vers des destinations inconnues… La littérature ne sert à rien, la critique encore moins, c’est bien pour cela qu’on s’y intéresse. Boutade me dit-on. Coquetterie, certes. Pourtant, pragmatiques les parents africains qui espèrent un avenir meilleur pour leur progéniture sur le continent les dissuadent souvent de faire les filières littéraires au lycée… Ils sont réellement  conscients que cela ne sert à rien... Donc, nous sommes tout de même au-delà de la boutade  et de la provocation. Le débat à Alger avec Abdoulaye Diallo et l’ethno psychiatre guinéen Alassane Chérif révèle combien la question même de la critique littéraire négative est entravée par des questions d’ordre culturel. Le maxxal sénégalais qui pose la problématique de la forme dans tout discours publique ne permet pas une critique frontale d’une oeuvre artistique, d’une problématique sociale, d’un aîné. Mieux, le Dr Chérif reprend avec une certaine ironie ou sincérité la sentence suivante en Guinée : « Nous sommes une famille ! » . Le poncif est lourd de sens. Car enfin, comment produire une critique littéraire malveillante vis-à-vis d’un texte qui le mérite bien quand les rapports humains récusent ce genre d’audace ?  Abdoulaye Diallo rappelle qu’au nom de cette doxa silencieuse, une émission littéraire comme le Grand Rendez-vous sur une chaine de télévision nationale sénégalaise a été noyée par l’intelligentsia. On est donc là sur une problématique de fond intéressante, surprenante qui prouve que la prise de parole publique 

Pas de critique négative : les nouveaux censeurs ?

Pourtant la critique négative doit avoir droit de citer. En discutant avec un ami critique universitaire, ce dernier estime sur le sujet qu’un mauvais texte ne mérite pas qu’on y consacre une critique. Lui, ne s’est essayé qu’une seule fois à une critique négative pour des raisons principalement idéologiques. Mais, à ce niveau, je me pose la question suivante. Ne pas critiquer un texte qu’on n’apprécie guère n’est-ce pas céder à une forme de faciliter ? Mieux n’est-ce pas exercer le pouvoir suprême du censeur. Nous savons tous qu’il n’existe pas de plus belle mort pour un texte que l’absence de critique et de prise de position à son sujet. Tuer un texte passe par ne pas en parler, chaque fois que cela est possible. Même la critique négative est salvatrice… 
Bref, le traitement de la critique littéraire nous rappelle combien la prise de parole peut être complexe dans certaines sociétés très démocratiques et que des formes de censure ou de neutralisation se mettent facilement en place…
Podcast Abdoulaye Diallo
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Podcast du Dr Alassane Chérif, ethnopsychiatre